Des créateurs sonores libres comme les ondes
En 2018, une poignée de professionnel.le.s, producteurs et documentaristes radio constate que les rares formations à la radio sont exclusivement journalistiques et très peu axées sur l’écriture et la narration. Convaincus de l’utilité publique de ce média et du champ des possibles de la création radiophonique à l’heure où tout s’enregistre et se réécoute à la demande, ils décident de partager leur savoir-faire technique et journalistique.

La Cassette

Logo du Collectif Transmission
Le collectif Transmission
– À l’origine…
Forts de cette volonté éponyme de transmission, Ziad Maalouf, Sarah Lefèvre et Charlie Dupiot, entre autres, inventent et montent une école ouverte à tous, sous forme de cours du soir, hors du circuit éducatif et de la formation professionnelle. La formation est payante mais la structure associative propose des tarifs modulables selon les ressources pour être accessible au plus grand nombre. Au cours des quatre premières années, trois promotions de vingt-cinq élèves environ sont initiées à la prise de son, au montage et au mixage audio. Ils réalisent de multiples podcasts dont certains sont sélectionnés et primés dans les nouveaux festivals dédiés à cette création émergente. Le collectif Transmission rassemble aujourd’hui une trentaine de personnes dont une grande partie est issue des premières promotions. Certaines sont devenues professionnelles de radio, d’autres formatrices au sein de l’école ; il y a aussi des étudiant.e.s, des retraité.e.s, des actifs dans d’autres domaines, bref, une multitude de profils d’amateur.rice.s et de passionné.e.s. Alors que, dans les métiers du son, la pratique est souvent plutôt solitaire, ils forment à eux tous une communauté de créateur.rice.s sonores qui se retrouvent, échangent et se confrontent dans une émulation curieuse et créative, et avant tout pour le plaisir.

Formation à La Cassette – Photo © Isabelle Fuchs
Nouveau départ pour La Cassette
Le lieu hybride, qui accueillait un café associatif, des événements culturels et festifs, un studio d’enregistrement, des cabines de speak en accès libre et surtout des formations à la réalisation radiophonique, vient de fermer ses portes du 4 rue Lécuyer à Aubervilliers en Seine-Saint-Denis. Après les deux années de loyer modéré proposé dans un premier temps par la municipalité, le montant réel du bail commercial a eu raison du compte en banque de la petite association. Cette dernière, avec l’esprit d’indépendance et de liberté qui la caractérise depuis sa création, a su faire de cette contrainte une nouvelle opportunité pour se réinventer, repenser ses envies et se lancer dans une nouvelle aventure. Elle a donc quitté son local pour intégrer Artagon, une association d’intérêt général dédiée au soutien et à l’accompagnement de la culture et de la création émergente installée depuis 2014 dans un ancien collège d’Aubervilliers. C’est là que se dérouleront les prochaines formations. Mais il ne s’agit pas pour autant d’y reproduire le lieu qui vient d’être démonté rue Lécuyer. Au contraire, dans sa nouvelle formule, La Cassette se veut ouverte et mobile, et souhaite dorénavant organiser des formations, des rencontres et des événements autour du son hors les murs, possiblement hors du Grand Paris, voire hors de France métropolitaine. Ce déménagement forcé a vraisemblablement donné de nouvelles ailes à l’Association qui tient bon, coûte que coûte, son objectif originel : développer la Culture et le savoir-faire de la création radiophonique et de la narration sonore au sens large.
Démocratie et autonomie

Matériel d’enregistrement – Photo © Isabelle Fuchs
Depuis sa création, l’Association a déjà connu plusieurs modes de fonctionnement. Après une gestion bénévole, l’essor des premières années a nécessité la création de deux postes salariés permanents. Actuellement, un seul poste subsiste, tenu par Mona Clavel, une ancienne élève de l’École, en charge de la coordination et de l’administration de l’Association. La tâche est particulièrement lourde en cette période de transition mais les membres du Collectif sont toujours présents et actifs pour prêter main forte. Pour ce qui est des activités régulières, les formateurs de l’École sont salariés ponctuellement et la majorité des autres événements est menée par des membres bénévoles. Dépourvu d’équipe de direction, le Collectif fonctionne de manière démocratique et horizontale. Les décisions importantes sont prises collectivement lors d’assemblées générales, les questions spécifiques concernant par exemple les formations, les événements ou la communication sont prises en charge par des groupes de volontaires qui se réunissent plus régulièrement. L’économie de l’Association est elle aussi basée sur un esprit d’autonomie et d’indépendance. Au départ, l’École s’est montée petit à petit avec “les moyens du bord”. Ensuite, l’installation de La Cassette dans la rue Lécuyer, la construction des cabines d’enregistrement et l’achat du matériel audio pour les formations ont représenté un budget conséquent couvert par des subventions et un financement participatif. Pour le fonctionnement courant, comme bien souvent dans le monde associatif, la recherche de subventions est un long parcours aux résultats aléatoires et le Collectif préfèrerait s’en affranchir autant que possible. Actuellement, plus de la moitié de ses revenus provient de son activité principale c’est-à-dire l’école. Mais les aides du département de Seine-Saint-Denis, de l’État et surtout de la Fondation Un Monde par Tous – Fondation de France sont nécessaires à l’Association pour tenir son objectif de s’adresser au plus grand nombre. Trois tarifs sont aujourd’hui pratiqués et possibles grâce aux subventions : un tarif de “soutien” dans le cadre de financements structurés, un tarif “normal” pour les particuliers qui s’autofinancent et un tarif “réduit” réservé aux personnes sans ressources et aux habitant.e.s d’Aubervilliers.

Découverte du matériel – Photo © Isabelle Fuchs
Une école de radio qui se distingue
À l’image du Collectif, depuis sa création en 2018, l’École a dû elle aussi se réinventer avec le temps. Les premières années, des promotions d’élèves sélectionnés sur dossier assistaient à des cours du soir réguliers pendant plusieurs mois. Depuis 2022, la formule s’est assouplie : plus de sélection à l’entrée ni de formation “longue” mais des stages multiples sur des thèmes spécifiques et des niveaux progressifs permettant à chacun de s’initier puis d’avancer à son rythme. Les initiations à la prise de son, au montage audio sur le logiciel Reaper ou aux spécificités du mixage radio se déroulent sur une journée et permettent aux élèves de se former selon leurs besoins. Des stages de réalisation ou de création sonore d’une semaine sont également proposés au fil de l’année et aboutissent aux premières réalisations personnelles des participant.e.s. Toutes les formations sont très axées sur la pratique et visent l’autonomie technique et matérielle des élèves. Elles sont assurées par des membres du Collectif ayant l’expérience de la production et de l’enseignement.

Chasse aux sons – Photo © Isabelle Fuchs

Chasse aux sons – Photo © Isabelle Fuchs

Chasse aux sons – Photo © Isabelle Fuchs
Une journée à La Cassette
Ce matin de décembre, neuf participant.e.s se sont inscrit.e.s à la journée d’initiation à la prise de son. Venant de Paris et d’ailleurs, ce sont majoritairement des jeunes femmes. Il y a quelques demandeur.se.s d’emploi ou en reconversion professionnelle qui viennent découvrir une potentielle nouvelle activité. Et il y a aussi des actifs provenant de milieux professionnels très divers (social, médical, culturel, environnemental, …) qui sont amenés à travailler avec des enregistrements sonores (gestion d’archives, entretiens, outils d’approche pédopsychiatrique, …) et qui se retrouvent confrontés à des questions concernant le matériel ou le traitement des documents audio avec lesquels ils travaillent. Mais leur présence à La Cassette est motivée par une raison plus personnelle que professionnelle : ce sont tous.toutes des passionné.e.s d’écoute de podcasts et de documentaires radiophoniques qui souhaiteraient eux.elles aussi en réaliser et qui sont en demande de connaissances théoriques et techniques pour mener à bien leur projet. Le formateur du jour est Léo Berthe, un ancien élève issu des premières promotions de l’École. Après un petit tour de table de présentation, la journée commence par l’écoute d’un podcast suivi d’une discussion et d’une analyse des différents éléments sonores et du principe de narration choisi par l’auteure. Celle-ci, Zoé Perron, également ancienne élève, est justement présente ce jour-là pour échanger et répondre aux questions que son podcast n’a pas manqué de susciter. Les notions d’ambiance, de voix off ou d’interview, de musique, de bruitage et de silence sont décortiquées pour mettre en place un langage commun dans le groupe. Puis c’est le moment d’entrer dans le concret avec la mise à disposition pour chacun.e d’un enregistreur portable et d’un casque. Une fois les machines et leur fonctionnement apprivoisés, les élèves sont lâchés dans les rues d’Aubervilliers pour leur première “chasse aux sons”. Au fil de la journée et de divers exercices, ils se familiariseront avec l’enregistreur, parleront stéréophonie, formats d’enregistrement, valeurs de plans et décibels. La réécoute et les discussions collectives autour de leurs expérimentations diverses leur permettront d’appréhender progressivement les riches pouvoirs évocateurs, narratifs et sensibles de l’audio.

Le Collectif Transmission – Photo DR
Un laboratoire de création radio
À travers son école et toutes ses activités, le collectif Transmission œuvre pour démocratiser l’accès à la production radiophonique. Le projet est bénévole, à but non lucratif et tient ferme ses valeurs humanistes et solidaires. Les ateliers dans les écoles ou ailleurs, les rencontres avec d’autres professionnel.le.s du son, les soirées festives, concerts et moments d’écoute ouverts aux intéressé.e.s et aux habitant.e.s d’Aubervilliers sont à chaque fois un nouveau moyen de mettre la lumière sur le média radio. Chacun de ces événements devient un espace public de découverte, dans un modèle d’éducation populaire, basé sur l’échange et favorisant le lien social. Cette vocation de “transmission”, que l’Association a astucieusement mise en exergue dans son nom, s’accompagne d’une volonté de rechercher et d’inventer de nouvelles façons de raconter le monde par le son. En effet, pour le collectif Transmission, la narration sonore dans sa forme et dans son fond est loin d’avoir été entièrement défrichée. Convaincus que les possibilités sont très vastes, ces nouveaux auteurs participent au renouvellement des genres radiophoniques en proposant de “nouveaux objets sonores”. La singularité de chacun est littéralement “boostée” par les collaborations, les partages d’expériences et de compétences. La mise en commun des savoirs et les travaux collectifs sont les moyens d’avancer toujours plus dans cette recherche, pour un mode d’expression original et universaliste qui a toute sa place dans notre époque.
Liberté, créativité et qualité, les vertus du collectif Transmission.
Pour plus d’informations :
– Artagon