Quand un vaisseau amiral fait peau neuve

Flux de production, accessibilité, prise en compte de la pénibilité au travail, rien n’a été laissé au hasard. La maîtrise d’usage, très investie aux côtés de l’équipe de maitrise d’œuvre, a reçu, sur l’ensemble de ses préconisations, un écho très favorable. Cette requalification, que nous pourrions désigner comme chirurgicale, comporte un large panel d’interventions qui ont été ciblées plus spécifiquement sur la refonte des équipements scénotechniques.

Grand théâtre, continuité scène/salle – Photo © Patrice Morel

Avant-propos

Il y a 35 ans, Jean-Michel Le Lez fait son entrée au Quartz en tant que jeune régisseur lumière et évolue rapidement au sein de l’établissement. Après 15 ans passés en tant que régisseur général, il occupe depuis 11 ans le poste de directeur technique de la Scène nationale, du Centre des congrès et la gestion technique du bâtiment. Depuis deux ans, il est suppléé sur cette dernière fonction par un responsable bâtiment.

Jean-Michel Le Lez : Nous avons une petite équipe de vingt-trois permanent.e.s à laquelle vient s’ajouter une équipe régulière en CDDU (Contrat à durée déterminée d’usage – intermittent du spectacle). Le projet de travaux est né il y a sept ans lors d’une séance de travail avec Matthieu Banvillet alors directeur du Quartz. Notre échange visait à consolider notre argumentaire afin de réussir à convaincre Brest Métropole du bien-fondé de ce projet de requalification. J’ai été accompagné par l’ensemble des équipes du Quartz. […] Cette aventure est avant tout un projet d’équipe et ces conditions optimales ne justifiaient pas de faire appel à une AMO.

Gril du proscenium, dispositif de levage du cluster central – Photo © Patrice Morel

Gril de scène – Photo © Patrice Morel

Gril de proscenium, équipes à tambours de câbles – Photo © Patrice Morel

Point sur l’ancienne configuration

Il ne faut pas se voiler la face : lors de la construction du Quartz, la pénibilité au travail n’était pas au centre des préoccupations.

J.-M. L. L. : Notre cintre manuel, les ruptures de charges et les pannes récurrentes du monte-décor ont forcément eu des répercussions sur l’état de santé de nos cintriers et de nos équipes techniques.

Parmi les nombreuses doléances exprimées par l’équipe technique, nous pouvons citer à titre d’exemples l’absence d’un ascenseur de scène, les passerelles, le gril uniquement accessible par escaliers, le système de fauteuils installé sur la plate-forme élévatrice de l’avant-scène (éléments lourds à démonter un par un puis à remiser dans un stockage éloigné et ce à chaque changement de configuration) sans oublier le système de motorisation de l’élévateur de la fosse d’orchestre devenu pratiquement inutilisable et, pour finir, les réseaux qui, pour certains, dataient encore des année 80’ avec certaines liaisons oubliées, où plus personne ne savait à quoi ces câbles correspondaient.

Pupitre de machinerie IAPI Easyscene, poste à 3 écrans – Photo © Patrice Morel

Pupitre de machinerie IAPI Easyscene, poste à 1 écran – Photo © Patrice Morel

Principaux axes d’amélioration

Vous l’aurez sans doute compris, un des premiers axes portés dans le cadre de cette requalification tenait à l’amélioration des conditions de vie dans l’établissement. Au fil des années, l’évolution des techniques et l’amélioration des conditions de travail ont eu raison des anciennes installations scénotechniques. Un constat sans appel qui a conduit au curage complet de la cage de scène du Grand théâtre qui bénéficie dorénavant d’un système de machinerie informatisé de toute dernière génération SIL3.

Proscenium, fauteuils et système de relevage automatique Saviex – Photo © Patrice Morel

– Éclairage de salle

Une attention toute particulière a été apportée à l’ensemble des zones d’interventions traitées visant à l’amélioration des sources et des systèmes de commandes de lumière en salle, dont ceux du Grand théâtre. Cette prestation, initialement imputée au lot électricité, a pu être sortie à temps puis réattribuée aux lots scénographiques. Cette action, salutaire à plus d’un titre, comprenait la mise en œuvre d’un système de commande en grande salle, piloté directement en réseau DMX depuis le pupitre lumière, avec la garantie d’obtenir une courbe de graduation sans sursauts ni scintillements.

– Réseaux scéniques

Même si certaines installations restent discrètes, le curage et la modernisation des réseaux courants forts courants faibles se devaient d’être placés au premier plan des préoccupations. L’existant, mis à jour par couches successives (qui sans dépose conduit le plus souvent à un engorgement des chemins de câbles), ne correspondait plus du tout aux exigences actuelles. À la suite des travaux, les différents pôles d’exploitation sont dorénavant interconnectés autour d’un ensemble de répartiteurs et de sous-répartiteurs, reliés entre eux par un réseau en fibre optique. Cette couche principale est complétée par un maillage local établi entre sous-répartiteurs et boîtiers audiovisuels mis en relation au travers des liaisons numériques cuivrées. Ces interconnexions autorisent la réalisation de duplex, la diffusion de contenus enregistrés lors d’événements pouvant être rediffusés en tous points de l’établissement, le tout étant prévu, à plus ou moins brève échéance, pour être interconnecté avec le monde extérieur.

Régie principale fermée, ouvrants élargis – Photo © Patrice Morel

Vue sur la salle depuis la régie fermée – Photo © Patrice Morel

La pénibilité au travail

Un des principaux axes d’amélioration tenait à la prise en compte de la pénibilité au travail, en regroupant un ensemble de mesures de préventions prévues pour être intégrées à tous les niveaux de l’établissement. Ce projet de requalification tenait pour partie à :

– L’optimisation des flux de circulation fonctionnels ;

– Limiter les distances à parcourir ;

– Créer des accès directs dont la liaison entre l’entrée principale et le secteur administration, salle de répétition, … ;

– Supprimer le plus de ruptures de charges possibles ;

– Créer des portes d’accès supplémentaires (réseau de passerelles, gril, …) ;

– L’installation d’un système de machinerie informatisé ;

– La création d’un ascenseur de scène desservant tous les niveaux y compris le gril de scène ;

– La création d’un gril de proscenium.

Cluster de diffusion sonore principal d&b audiotechnik – Photo © Patrice Morel

La maîtrise d’usage avait fixé une feuille de route très détaillée aux architectes. Ces derniers ont su trouver des solutions que nous pourrions parfois qualifier de précision chirurgicale. Parmi les principaux attendus du marché de travaux, nous pouvons citer celui qui était étroitement lié à la requalification des déplacements dans l’établissement. L’équipe avait exprimé sa demande sous la formulation suivante : “Quel que soit le point de livraison, l’acheminement du matériel, prévu pour être réalisé tout au long du parcours à l’aide d’un chariot à roulettes, devrait pouvoir s’effectuer, de son point de départ jusqu’à son point d’arrivée, sans la moindre rupture de charge”. Hormis la passerelle du deuxième plan (grande salle) et peut-être une ou deux autres circulations techniques, l’équipe, de ce point de vue, considère que leur demande a été pleinement satisfaite.

– Refonte du monte-décor

Depuis l’origine de la construction, la trémie du monte-décor était adossée à la paroi extérieure du bâtiment d’accès logistique. Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette configuration était à l’origine d’une dissymétrie fonctionnelle entre l’axe du rideau métallique extérieur et celui de la porte du monte-charge, l’un étant décalé par rapport à l’autre.

– Nouveaux dégagements logistiques⁽¹⁾

La refonte totale de cet équipement, indispensable à la vie de l’établissement, aura permis d’aligner le monte-charge avec son accès extérieur. Le déplacement de la trémie sur plus de 1,50 m par rapport au mur extérieur libère un volume excédentaire sur trois niveaux. Cette nouvelle disponibilité rend possible la création de nouvelles circulations dans l’interstice. Ces nouveaux dégagements améliorent de fait le transfert de matériel entre les zones de production, l’aile ouest (Centre de congrès), les salles de travail et les aires de stockage.

– Paliers intermédiaires du monte-décor

Lors des opérations de chargement et de déchargement, les poids lourds sont amenés à venir s’approcher au plus près du plancher du monte-décor. L’absence de quai de déchargement est compensée par le système de commande. Le monte-décor, une fois arrivé au niveau R-2 (cour technique d’accès livraison), peut voir son plancher de travail repositionné à différents niveaux, allant de 0,60 m à 1,20 m par paliers intermédiaires de 20 cm. Le système s’adapte en quelque sorte à la hauteur du plancher des véhicules.

– Passerelle mobile du monte-décor

Le nouveau dégagement, reliant la salle de répétition à l’aile ouest du Centre des congrès, entre en conflit en partie haute avec la porte du monte-décor. Pour cette raison, une section de la passerelle du dégagement qui contourne la trémie du monte-décor (celle située juste au-dessus de l’aire de service) a dû être mécanisée. Afin de permettre aux véhicules de s’approcher en marche arrière en limite de la plate-forme du monte-décor, la section mobile de la passerelle (nommée pont-levis) doit être relevée. Une fois le chargement ou déchargement terminé et le véhicule évacué, la passerelle mobile retrouve sa position initiale. Le dégagement du niveau R-1 est de nouveau fonctionnel.

– Mise en relation des dégagements techniques

Lors de leurs déplacements, les équipes techniques se trouvaient régulièrement bloquées en début ou fin de parcours, face à des demi-niveaux en correspondance, ces derniers étant compensés généralement par une ou plusieurs séries de marches successives. Le recours à la manutention par portage manuel était alors inévitable. En ajustant l’implantation des nouvelles passerelles de scène sur les circulations existantes, l’équipe de maîtrise d’œuvre a réussi à gommer la plupart de ces imperfections.

Cour technique extérieure – Photo © Patrice Morel

Dégagement créé par une passerelle mobile – Photo © Patrice Morel

Dégagement décors côté jardin – Photo © Patrice Morel

– Requalification des portes d’accès

Frédéric Roudaut, régisseur général qui a suivi dans le détail l’ensemble des interventions, explique ce point de vue : “Je cite un exemple tout simple : circuler sans interruption avec un chariot de praticables, entre les espaces du Centre des congrès et la salle de musique et de répétition de danse située au niveau R+2 était parfaitement impossible. Arrivées devant les anciennes portes de dégagements, les équipes devaient passer les praticables uns à uns, de biais et à la main”. La requalification des ouvrants va finalement permettre de résoudre définitivement le problème. Il ajoute que “la distribution des espaces dans un bâtiment aussi vaste reste encore un peu complexe. Les nouveaux arrivants ont besoin d’un certain temps d’adaptation pour se familiariser et réussir à optimiser au mieux leurs déplacements. Certains parcours restent encore long à pousser mais le port de charges sans assistance est dorénavant réduit au strict nécessaire. En cas de panne sur un ascenseur, un monte-charge ou le monte-décor, nous disposons dorénavant de nouveaux axes de contournement”. (Pour info, la circulation jardin/cour sans être à vue reste possible en passant par les loges).

Acoustique de la grande salle

Le rendu acoustique était connu comme l’un des grands points forts de la grande salle. Le département son du Quartz fut très attentif à ce que les travaux annexes réalisés en salle ne modifient en rien ce qui était tenu pour acquis. Des mesures ont été réalisées par le BET Altia Acoustique afin de garantir que, suite aux travaux, la perception en salle resterait inchangée. Les réflecteurs historiques de couleur gris alu étaient recouverts d’un tulle vieillissant. Les interventions sur ces éléments acoustiques comprenaient leur dépose, l’application de couches de peinture noire, la pose en finition d’un tissu acoustique performant. Suite à cette réhabilitation, ces équipements ont repris leurs positions initiales. Le plenum de soufflage (sous le gradin) a été rénové et conservé.

 Réhabilitation de la passerelle du 2^e plan

Ce deuxième plan de passerelle a été volontairement surbaissé. La nouvelle configuration facilite grandement le réglage des projecteurs avec de nouvelles lisses rabattables pour projecteurs. Cet équipement de travail intègre dorénavant trois nouvelles plates-formes de poursuites. Ces dernières comportent, en face avant, des lisses basculantes adaptées afin de ne pas gêner le passage des nez de poursuites. Le dos de la passerelle est recouvert d’un occultant noir qui, pour partie, est réalisé à partir d’un tissu transonore, là où sont implantées les enceintes de rappels du balcon. L’éclairage de salle, pratiquement établi à 100 %, reste encore à améliorer à cet endroit. Des projecteurs LED seront repositionnés en douche afin de ne pas éblouir le public.

Fosse technique de scène – Photo © Patrice Morel

Atelier de construction – Photo © Patrice Morel

Gril du proscenium

Les interventions visent à préconiser des équipements pérennes qui seraient, par la suite, pratiquement impossibles à reprogrammer. Jean-Michel Le Lez précise “que du point de vue de la MOA, tout n’allait pas forcement de soi. […] Il a fallu sérieusement argumenter sur l’utilité d’un tel équipement. En conséquence, nous avons choisi de rester raisonnables sur le nombre d’équipes motorisées à pourvoir à cet endroit. […] Rien ne nous empêche d’en programmer par la suite. […] Des palans motorisés supplémentaires peuvent toujours y être ajoutés à la demande. Ils seront fixés directement à l’aide de griffes sur les chemins de moufles”. L’équipe technique regrette néanmoins de ne pas avoir réussi à obtenir la surélévation du gril de proscenium qui, de fait, se serait retrouvé aligné sur un même plan avec le gril de scène. La configuration aurait permis des déplacements plus rapides entre ces deux espaces de travail.

Montée en compétences indispensable

Même si elle s’est montrée très proactive, l’évolution des techniques bouscule plus particulièrement l’équipe des cintriers. Elle doit dorénavant associer à l’intelligence de la main leur nouvel outil prédictif mis au service de la machinerie. Les services lumière, son et vidéo suivent actuellement des cycles de formation à l’utilisation des nouveaux réseaux lumière et audiovisuels. L’équipe en charge de la diffusion sonore, plus familiarisée dans la gestion des outils numériques, se forme actuellement à l’exploitation du tout nouveau système de diffusion d&b audiotechnik. Le scénique n’est pas le seul service à être concerné par ces actions de formation.

Grand théâtre, coupe scénographique longitudinale – Document © AMG-Féchoz

Choix des assises en grande salle

Carole Clerc-Dumagenc, scénographe de l’agence Architecture & Technique, rappelle “que sa mission, au sein du marché de travaux lancé par Brest Métropole, portait sur des interventions ciblées en majorité sur les installations scénographiques de la grande salle. Parmi les plus complexes, nous pouvons citer le choix des nouveaux modèles de fauteuils. Les anciens modèles restituaient un confort très apprécié du public. L’emmarchement du gradin existant, avec à peine 81 cm de profondeur de marche au balcon, a été conservé. Il a fallu trouver un compromis avec un modèle respectant les gabarits de passage, offrant un espace suffisant pour les jambes, proposant des assises confortables avec une épaisseur de dossier réduite. […] Un modèle qui permette de se rapprocher de la jauge initiale tout en conservant le rendu acoustique initial. La première version testée par Guillaume Bourdin du BET acoustique Altia ne convenait pas sur ce dernier point”. En effet, le modèle testé aurait pu être à l’origine d’un certain déséquilibre dans la courbe de réponse de la grande salle. La société Saviex a retravaillé la qualité d’absorption du siège en remplaçant la mousse habituellement moulée par une mousse découpée, l’assise abaissée ou relevée ne devant en rien modifier la perception en salle.

– Fauteuils relevables d’avant-scène

L’intégration d’un système de fauteuils relevables dans le coffre de la plate-forme élévatrice du proscenium comportait de nombreux défis. La société Saviex livre ici un nouveau modèle à l’intégration discrète, offrant un confort d’assises pratiquement équivalent aux fauteuils fixes implantés en salle. Néanmoins, le fauteuil, jugé trop lourd pour être relevé à la main, a été équipé d’un système d’assistance au relevage mu par des vérins électriques à vis sans fin.

Équipements de machinerie

Le dispositif de machinerie scénique se compose d’un ensemble de quarante équipes frontales à vitesse variable à 1,6 m/s, de six équipes motorisées, dont trois coulissantes, installées au gril de proscenium et de quatre équipes latérales de scène. En complément, le gril de charge intègre des systèmes d’ancrages mobiles destinés aux treuils ponctuels composé de trois poutrelles roulantes par travée, chacune étant équipée d’un chariot porte-palan indépendant à poussée manuelle. Pour des raisons budgétaires, il n’a pas été possible de valider la commande des treuils ponctuels asservis AMG-Féchoz. Dans l’attente de ce futur investissement, l’équipe du Quartz utilise des palans motorisés issus du parc matériel commun. Le système de diffusion sonore principale est installé sur des ancrages réglables en ouverture (levage et inclinaison). Le déplacement est obtenu par des chariots motorisés installés sur des guides de coulissement.