Lucie Basclet

La beauté en partage

Voilà un métier dont nous parlons peu dans cette revue. Celui d’accessoiriste. Nous avions déjà conversé avec Lucie Basclet à propos de son travail aux côtés de Vincent Macaigne. Elle l’accompagne depuis son spectacle Idiot ! adapté de Dostoïevski en 2009 au Théâtre national de Chaillot. Discrète, fine, intelligente, son parcours parle pour elle. Arrivée dans ce métier par hasard, en tâtonnant et en suivant ses intuitions, elle se forme par l’expérience et par des sessions d’apprentissage courtes dès qu’elle en ressent le besoin. Cooptée dans les théâtres nationaux, les opéras et les festivals (Théâtre du Châtelet, TNP, Vidy-Lausanne, Opéra national de Lyon, Festival d’Avignon, …), toujours fidèle aux créations de Macaigne, elle est aujourd’hui responsable du service accessoires à l’Opéra Comique.

Enfance à l’école nouvelle

Lucie Basclet, 44 ans, grandit dans la banlieue sud, Arcueil, Cachan… Ses parents, psychologue et psychanalyste, choisissent de lui faire suivre sa scolarité dans une école nouvelle à Antony. Pédagogie nouvelle, différenciée, elle témoigne d’une enfance et d’une éducation libre et rêvée. “J’ai passé mon enfance à jouer et à me déguiser. J’en ai un souvenir génial. Nous avions une imprimerie dans l’école. Nous partagions les cours avec des élèves autistes et handicapés sans que cela ne nous interroge une seconde. J’ai compris plus tard quelle ouverture cela a été. C’est l’arrivée au collège, en sixième, qui a été rude. Il a fallu s’adapter. Les études ont été très violentes.” Sa mère la sensibilise à l’art brut. La poursuite des études ne la passionne pas. Elle obtient un Bac littéraire option arts plastiques, s’essaie à des années universitaires à La Sorbonne et en médiation culturelle et arts plastiques, passe le concours des Beaux-Arts et dans le même temps travaille aux Gémeaux, Scène nationale de Sceaux, comme ouvreuse. “J’avais envie de fabriquer des choses. Les décors m’intéressaient mais j’ignorais complètement à ce moment-là qu’il existait des formations !

Fabriquer des choses

À l’INFA Crear (Institut national de formation et d’application) de Nogent-sur-Marne, elle trouve une formation correspondant à ses attentes dont l’intitulé est le suivant : “décors d’expositions, de salons professionnels et de spectacles”. Le principe de la formation repose sur la compétence d’un homme, Robert Poulanges, qui rassemble un petit groupe et dont la pédagogie active repose sur la pratique en atelier. “Nous répondions à de vrais projets. Il nous traitait comme une équipe déco. Nous avons fabriqué des décors de théâtre privés, des salons d’expositions d’art, … Nous survolions beaucoup de choses et avions toujours des exercices appliqués à un projet.” À défaut d’être acceptée en stage à l’Opéra Bastille comme elle l’avait espéré pour clore sa formation, elle décide de rejoindre son compagnon à Lyon. Ouverture de l’annuaire au hasard à la page décor, appel au premier atelier (Basic Théâtral de Lyon), l’affaire est conclue. Elle rejoint les ateliers de décor dirigés par Alain Cunillera. “Au départ, je passais le noir derrière les châssis, je ne faisais pas des choses passionnantes mais l’ambiance était géniale. Je suis arrivée, il y avait de la fantaisie, des gens avec des crêtes, … J’avais trouvé une famille. Je ne connaissais personne à Lyon.”

Se former et rester disponible

Elle s’installe à Lyon et infiltre un café-théâtre, Le Complexe du rire. “Là-bas, je faisais tout ! Les tapas, la régie, la billetterie, j’ai travaillé énormément pour eux. Je ne gagnais pas suffisamment ma vie alors j’ai complété mes revenus en faisant les marchés. RMI (Revenu minimum d’insertion) et marchés le week-end pour boucler les fins de mois et surtout pour rester disponible à d’éventuelles propositions. C’est en étant disponible que j’ai commencé à faire de plus en plus de choses. Ce faisant, j’ai compris que je n’étais ni peintre, ni sculpteuse, que je n’avais pas de spécialité en somme. En réalité, je ne savais rien de ce métier, je l’ai découvert en pleine innocence. Toujours. J’ai alors décidé de me former à nouveau.” En 2007, elle s’inscrit au CFPTS pour suivre la formation Techniques de fabrication d’accessoires. “Cette formation courte était géniale. Aujourd’hui, ils ont scindé les pratiques mais à l’époque, en deux mois, nous voyions tout ! Soudure, patine, menuiserie, staff, …

Rencontres fondamentales

À l’Opéra de Lyon, elle rencontre Fanny Gamet à qui elle montre son book. “Elle me rappelle très vite pour travailler sur le court métrage Automne Hiver réalisé par Gilles Tillet. J’étais assistante de décoration et accessoiriste.” S’enchaînent les créations de Par-dessus bord de Michel Vinaver dans la mise en scène de Christian Schiaretti au TNP de Villeurbanne et de La Vie parisienne d’Offenbach dans la mise en scène de Laurent Pelly. “Je me suis retrouvée à la table de répétition, puis accessoiriste de plateau, à regarder travailler des metteurs en scène, j’ai adoré ! Et là encore, j’ai découvert l’existence de l’ENSATT, du TNS…” Des rencontres naissent les mises en relation avec les théâtres tels que le Châtelet où elle travaille avec Robert Carsen et le Festival d’Avignon où Christian Wilmart la fera travailler après son passage lors de la création d’un spectacle de Vincent Macaigne en 2011, Au moins j’aurais laissé un beau cadavre d’après le conte original d’Hamlet.

Choc esthétique

2009 est l’année de la rencontre avec Vincent Macaigne. Cooptée par Benoît Bécret (aujourd’hui directeur technique à l’Opéra de Lausanne), elle rejoint l’équipe d’Idiot ! pour organiser la tournée. Le spectacle, créé sur place, n’avait pas de conduite. “Cela arrive assez peu souvent dans une vie, un tel choc esthétique. Et des rencontres artistiques si puissantes. Lorsque je suis arrivée dans la salle, il y avait des masques anciens, des effets techniques monstrueux ! C’était inouï ! C’est générationnel aussi ! Nous avons le même âge avec Vincent. Idiot ! c’était fou, tout s’était installé sur place, dans la salle. Rien n’était prévu. Aucune conduite, personne n’avait rien noté. J’étais dépassée, j’ai pris des photos. Je n’avais pas le temps de réfléchir, il fallait agir. À Chaillot, je me souviens qu’à l’entrée de Gémier, avant de rentrer dans la salle, il y avait des bouts de décors qui s’accumulaient d’un soir sur l’autre, un bar, Joy Division à fond, je n’avais jamais vu cela ! C’est quoi ce truc, ils descendent dans le public, ils tirent à la kalachnikov, il y a de la mousse, du sang, des cris, des larmes, … Tout à coup, j’étais tellement d’accord avec tout ce qui se passait sur le plateau. Il galvanise, il n’abandonne jamais, ce qu’il veut dire est plus fort que tout.” Fidèle et précieuse collaboratrice de Vincent Macaigne, elle travaille depuis sur toutes ses créations. Connivence intellectuelle, artistique, sensible, sa voix s’enchante lorsqu’elle parle de ce travail commun.

Machines à jouer

Avec Mathurin Bolze, elle expérimente la machinerie scénique. Elle passe de l’art brut et de la puissance de la matière aux machines mécaniques à jouer. Toujours plus près du plateau, elle affine son art avec les tapis roulants, la précision de l’arrêt sur un pas, les changements de direction. Et, à chaque nouvelle expérience, elle teste ses limites et se forme. Au CFPTS, elle suit les formations Mécanismes et articulations de petites machines pour le spectacle, Technique du plateau-Machinerie scénique ; Thermoplastiques modelables-objets et costumes de scène et un module de formation perfectionnement couture au Greta.

Partager les savoirs

Lucie Basclet est inspirante. Une conversation avec elle vous emporte dans l’amour de son métier. Précise, jamais dispersée, elle conserve une fraîcheur vivifiante. Elle rend tout concret et passionnant. Électron libre, elle n’est pas formatée par une école et ne cesse d’être dans une recherche appliquée. Et d’ailleurs, accédant à des groupes de réflexions et des postes à responsabilités, elle vient d’impulser une rencontre entre les accessoiristes des théâtres nationaux. Elle voudrait organiser une université d’été. La première newsletter concernait le faux sang. “J’ai réalisé en passant à l’opéra qu’une technique de faux sang m’était complètement inconnue. Alors qu’avec Vincent Macaigne, j’ai fabriqué des tonnes de faux sang ! Les questions de l’écoresponsabilité passent aussi par le partage des savoirs et des connaissances.” L’association s’appelle AAAAA et la première newsletter commence ainsi : “Sur scène, il est évident que seulement dans de très rares occasions nous aurons besoin de remplir des ascenseurs de faux sang pour créer de véritables raz-de-marée ensanglantés comme dans Shining (sauf à l’Odéon : tu t’en sors Sophie avec ta piscine de sang ?). Il serait d’ailleurs difficile de créer ce genre d’effet (impossible n’est pas français !) sans avoir à payer le pressing à tout le parterre de spectateurs. Mais comme Léon Vitali (l’assistant de Stanley Kubrick, oui on le connaît et alors… ?), il est possible que vous ayez besoin de travailler pendant des semaines (des mois comme nous) à la recherche de la couleur parfaite et de la consistance idéale. Alors ce premier article est fait pour vous !”. Toujours constructive, elle convient qu’il est urgent de se rassembler et de partager les pratiques. Une belle promesse vient de germer dans un esprit bien fait. Pour changer les pratiques, il faut changer la pensée. CQFD.

Facebook
LinkedIn

à propos de l'auteur

Lucie Basclet

Facebook
LinkedIn

CONNEXION