La gestion des risques, un métier sous tension
Le sujet semble être d’actualité, au point où, à l’approche des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, le journal Le Parisien Étudiant titre sur le thème avec un article décrivant le rôle, les missions et les évolutions de carrière possibles d’un chargé de sécurité. Qu’en est-il de cette fonction dans notre secteur d’activité et plus particulièrement sur les grands rassemblements de personnes conviées dans nos stades, nos Arenas et lieux de plein air ? Nous vous proposons un tour d’horizon en compagnie de Frédéric Poullain, responsable de la sécurité, entre autres sur la tournée de Mylène Farmer 2023 et plus récemment sur les 30 ans de concerts de l’émission Taratata, soirée qui s’est déroulée le 5 octobre 2023 à Paris La Défense Arena.

Mylène Farmer, tournée Nevermore, 2023 – Photo © MF
Préambule
Comme en témoigne le synoptique séquentiel de la tournée de Mylène Farmer 2023, la charge de travail d’un responsable de la sécurité est énorme. Le poste qu’occupe Frédéric Poullain va bien au-delà de la fonction de chargé de sécurité. Elle s’apparente bien plus à la fonction de risk manager, profil reconnu et établi depuis plusieurs années dans les pays anglo-saxons. Même s’il dispose de toutes les qualifications requises, notre responsable de la sécurité peut-il, à lui seul, garantir l’application stricto sensu des quatre segments réglementaires ? La réponse est non. Et pourtant, c’est bien ce qu’il réalise depuis de nombreuses années aux côtés des productions qui lui font confiance.
Chargé de sécurité ou Risk manager ?
– Attention au mélange des genres
La gestion des risques impose à ceux qui acceptent la charge de cette mission de couvrir le champ des quatre principaux segments réglementaires et qui, pour le moins, demeurent totalement interdépendants :
– La santé, sécurité et qualité de vie au travail ;
– Le secours à la personne ;
– Le service d’ordre et la sûreté ;
– La sécurité incendie et l’évacuation rapide en cas de sinistre.

Show Mylène Farmer 2023, vue de la poursuite de face – Photo © Frédéric Poullain
Nos managers de la sécurité
– Sont-ils omniscients ?
Certes non, mais pour ce qui a trait à leur parcours en formation professionnelle, il leur est indispensable de se former dans le domaine général avec une démarche ouverte qui, dans un second temps, les amènera à poursuivre leur spécialisation au travers des différentes disciplines inhérentes à notre d’activité.
Frédéric Poullain : En fantasmant ce poste, nous pourrions considérer les attendus comme devant regrouper à la fois les compétences d’un ingénieur et d’un juriste ou, en équivalence, une licence de droit a minima raccordée à un parcours d’ingénieur en sciences appliquées à l’INSA (Institut national des sciences appliquées) à Lyon. Pour ce qui est de ce poste, rien n’impose de se former dans la filière spectacle (sauf à défaut pour les parties techniques qui lui sont associées). Se former dans un milieu clos c’est déjà admettre de fausses évidences, avec le risque de se baser sur des usages et/ou des adaptations courantes, sans jamais les remettre en question.

Scénographie Emma Favre, Mylène Farmer, Paris La Défense Arena – Photo © Frédéric Poullain
Le fait que les acteurs les plus référencés de notre secteur soient pratiquement tous des autodidactes et/ou anciens régisseurs et directeurs techniques de festivals ou d’événements (qui se sont spécialisés par la suite) ne doit en aucun cas servir de règle dans le cadre d’une professionnalisation au sens large.
Le Risk manager
Le Risk manager est un profil parfaitement dimensionné pour comprendre et exploiter l’interdépendance entre les différents segments réglementaires. Il est capable de traiter l’ensemble des risques inhérents à notre activité. Ces managers en situation ont les capacités d’analyse de l’enchaînement des opérations leur permettant ensuite, au travers de la chaîne de commandement, de piloter les différents responsables de secteur ayant en charge la santé, la sécurité et la qualité de vie au travail, le secours à la personne, la sûreté, la sécurité incendie et la gestion en conditions dégradées en vue de la mise en sécurité et/ou l’évacuation rapide et en bon ordre du public. Ce manager devra avoir, a minima, les compétences d’un chargé de sécurité.

Grutage au stade de La Beaujoire à Nantes – Photo © Frédéric Poullain
Chargé ou responsable de la sécurité
La confusion règne. Les échanges sur ce sujet sont souvent sortis de leurs contextes. Parlons-nous d’un responsable de l’hygiène et de la sécurité au travail, d’un contrôleur SPS sur un chantier de BTP, d’un IPRP (Intervenant en prévention des risques professionnels), d’un chargé de sécurité obligatoirement présent sur les foires, expositions et salons se déroulant dans un établissement du type T(1) ou d’un responsable de la sécurité au sens large ? En fait, il serait préférable de voir les choses sous un autre angle : est-ce une nécessité d’engager un responsable de la sécurité afin d’assurer le bon déroulement de nos spectacles et événements ? La réponse est oui. Mais à la question : doit-il avoir obligatoirement le statut ou la qualification de chargé de sécurité ? La réponse, dans la grande majorité des cas, est non. Est-ce nécessaire ? Oui. Est-ce suffisant ? Non. Notons au passage que même s’il en a une parfaite connaissance, le chargé de sécurité ou le chef de service de sécurité incendie SSIAP 3 (potentiellement chargé de sécurité limité aux établissements de 2e catégorie) n’a pas à charge d’intervenir sur les questions d’hygiène et de sécurité au travail. En revanche, les organisateurs de manifestations qui ont en charge la sécurité des spectacles sont dans l’obligation de prendre en charge ou de faire prendre en charge le domaine de la prévention des risques liés au Code du travail (pour leurs salariés et leurs prestataires), la gestion du service d’ordre, le secours aux personnes et la sûreté. Sur ce plan, organisateurs de spectacle et exploitants de lieux sont condamnés à collaborer car ils répondent conjointement de leurs actes et de leurs omissions.

SuperRoof XXL StageCO, plancher sur ossature Layher – Photo © Frédéric Poullain
– Chargé de sécurité en type L(2), késako ?
La présence d’un ou de plusieurs chargés de sécurité dans les établissements de type L (salles de spectacle) est fortement recommandée sans pour autant être obligatoire. En fait, la profession calque l’obligation du type T au type L ; reste encore à savoir s’il faut appliquer cette démarche aux établissements de plein air et aux CTS(3) et aux IOP (Installations ouvertes au public), sans oublier les lieux où nous sommes amenés à nous produire qui ne sont pas des ERP. Là encore vaste question : certains régisseurs généraux et/ou directeurs techniques endossent par défaut le costume sans pour autant en maîtriser tous les tenants et les aboutissants. La formation tout au long de la carrière demande du temps et ces professionnels en manquent cruellement.
– Prérequis obligatoire du chargé de sécurité
Hormis un cycle d’étude générale de niveau suffisant, notre chargé de sécurité devra obligatoirement avoir suivi et validé une formation de niveau 2(4) (PRV2 généralement réservée aux préventionnistes du service public) ou une attestation de compétences en matière de prévention des risques (AP2 : parcours équivalent au PRV2) plus adapté au civil et au secteur privé. Frédéric Poullain s’interroge ici “sur la pertinence de suivre, dans son intégralité, le cycle de formation AP2. Il pourrait être tout aussi efficace qu’à l’issue d’une formation SSIAP3, l’apprenant complète sa formation à l’ENSOSP (École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers) par des modules de spécialisation liés à l’événementiel, complétés par des compétences sur la lecture et la compréhension de la réglementation sur les procès-verbaux de réaction au feu dans et hors UE pour les matériaux de décors, suivis d’une formation sur la gestion du comportement de la foule par exemple”.(5)
Gestionnaire des risques
– Compétence métier sans cesse en évolution

Portrait Frédéric Poullain, décors Mylène Farmer 2023 – Photo © Frédéric Poullain
Un métier de l’ombre difficile à catégoriser… Parallèlement à leurs missions, ces rares spécialistes consacrent une part non négligeable de leur temps à mettre à jour leurs compétences en fonction de l’évolution parfois erratique de notre législation. La moyenne d’âge dans ce secteur montre à quel point cette filière a du mal à séduire les éventuels futurs candidats. Inutile de s’interroger sur les raisons de cette désaffection : pas assez attractif, trop stressant, horaires décalés, durée hebdomadaire de travail ; sans parler d’un statut pratiquement inexistant, un pouvoir coercitif proche de zéro et une responsabilité qui, dans la durée, aura des répercussions sur la charge mentale. Passons les nuits difficiles à attendre le démontage qui, une fois finalisé sans encombre, apparaît, l’espace d’un instant, comme libératoire. Des plannings, des riders de tournées incompressibles et voilà notre manager des risques qui se replonge dans les méandres de ses dossiers de sécurité, à se demander comment il va réussir à convaincre sa production du bien-fondé de ses mesures. C’est un peu caricatural mais très proche de l’expérience que vivent sur le terrain celles et ceux que nous avons pu rencontrer.
Responsabilités, gestion du stress
Frédéric Poullain témoigne des difficultés qu’il rencontre lorsqu’il s’agit de faire appliquer les règles du Code du travail. Alors première question : est-ce bien au chargé de sécurité, au risk manager, de se charger de l’application des règles d’hygiène et de sécurité au travail ? Sur ce point, le Code du travail est parfaitement clair (voir encadré). L’individualisation des peines est un principe régissant le droit pénal en France. Personne ne peut répondre ou se substituer à la place de celui ou de celle qui a commis un délit. Si notre responsable de la sécurité peut être couvert en partie sur le plan de la responsabilité civile contractuelle et extracontractuelle par son entreprise (sans avoir commis de faute grave et inexcusable ou intentionnelle), il devra répondre, comme tous ses petits camarades, des délits qu’il.elle.s auront commis dans le cadre de leurs activités.
Frédéric Poullain : C’est sur ce point que portent mes plus grandes angoisses. Je me trouve très seul avec mes formations, mes responsabilités et ce que je vois faire ailleurs ne me semble pas plus rassurant. Nous finissons par être des machines à produire du document : autorisations de conduites, habilitations électriques, DUERP (Document unique d’évaluation des risques professionnels), plans de prévention, attestations de bon montage, PV en tous genres, … Et le reste du temps, nous faisons de l’animation [sic] : “Mets tes chaussures, mets ton casque” avec la portée et l’efficacité que vous pouvez imaginer…
Mesures compensatoires à la fatigue

Groupe F, flammes nues dans le décor Mylène Farmer 2023 – Photo © Frédéric Poullain
Il y a des choses que tout le monde sait mais dont personne ne parle et nous pensons que toute la profession pourrait s’associer à cette dernière remarque de Frédéric Poullain : “Pardon d’être si direct et probablement provocateur, mais il faut arrêter de se leurrer : il n’y a pas de mesure compensatoire à la fatigue autre que des drogues ou du repos”. Pour la première, c’est interdit et contreproductif ; pour la seconde, il faut repenser totalement les choses, à savoir comment adapter la durée du travail en fonction de la situation sur le terrain. Alors à quand la mise en place d’un outil performant à destination des employeurs leur permettant, avant d’enregistrer une déclaration préalable d’embauche, de vérifier les heures effectives cumulées par un CDD d’usage ou un intermittent sur les semaines précédentes ? Et nous ne parlons pas d’un dispositif reposant uniquement sur du déclaratif !
Frédéric Poullain : Que nous dit le Code du travail dans le texte : “Adapter le travail à l’homme” ? La question ne porte donc pas seulement sur les questions d’ergonomie ou de pénibilité mais bien sur la qualité de vie au travail.

Synoptique séquentiel, tournée Mylène Farmer 2023 – Document © Frédéric Poullain
Les juges des affaires sociales au Tribunal des affaires de la Sécurité Sociale sont parfaitement au clair sur ce sujet et les managers qui persistent à négliger ces questions dans les années à venir risquent de le regretter très sérieusement.
Conclusion
Paris 2024 réveille les consciences ! Entre mesures préventives, traitements curatifs, où en sommes-nous vraiment dans la démarche d’évaluation ? À quel moment interviennent la prise en compte de la criticité et la modélisation du risque ? À quand la mise en place d’un observatoire métier visant à évaluer les politiques de prévention, de service d’ordre, de sûreté et surtout pour quelle efficacité ?
(1). Espace destiné aux exploitations, salons, foires à caractère commercial
(2). Salle à usage d’audition, de conférence, de réunion, de spectacle, ou à usages multiples
(3). Établissements de type chapiteaux, tentes et structures
(4). Arrêté du 2 mai 2005 relatif aux missions, à l’emploi et à la qualification du personnel permanent des services de sécurité incendie des établissements recevant du public et des immeubles de grande hauteur
(5). Site Fouloscopie : https://www.youtube.com/c/Fouloscopie
Formations et compétences connexes
– Santé et sécurité au travail, formation EvRP, CRAMIF (Caisse régionale d’Assurance Maladie d’Île-de-France), CARSAT (Caisse d’Assurance Retraite et de la santé au travail) par exemple, aucune production à ce jour n’a de HSE
– Sûreté : soit la formation menant à l’agrément de personne morale soit un stage sur l’organisation, le droit et le management
– Solidité des structures, échafaudages de pieds, scènes couvertes, CTS, SG, …
– Drones : au moins la théorie du télépilote pour pouvoir lire une carte aéronautique lors d’organisation de manifestations avec ce type d’UAS
– Artifices de divertissement : F4T2 N1/N2 (formation obligatoire)
– Responsable sécurité laser, utile en cas d’utilisation. De même pour monter un dossier d’utilisation de laser III ou IV en intérieur (demande de dérogation)
– Formation droit et prévention : droit des contrats, responsabilité civile, pénale, jurisprudence, code de la consommation, activité d’entrepreneur de spectacle, contrats de cession, …
– Appréhension des conditions dégradées, lectures des informations météorologiques
– Gestion de la foule, comportements en conditions dégradées
Le réseau, les principaux interlocuteurs
– Préfecture : dépôt des déclarations, dossiers (demande préalable, utilisation exceptionnelle GN6, rassemblements festifs à caractère musical, spectacles pyrotechniques, grands et très grands rassemblements, …)
– Préfecture de police de Paris – LCPP : traitement des dossiers comme pour une préfecture normale avec, en plus, la présence et l’analyse du laboratoire central pour ce qui est de l’ordre de l’artifice de divertissement et des dérogations pour l’utilisation de lasers classe 3 & 4
– Direction de l’équipement (Paris), Direction départementale de l’équipement
– Préventionnistes (Préfecture et SDIS) : le préventionniste présent le jour de la commission de sécurité n’est pas toujours le lecteur/instructeur du dossier de sécurité
– Organismes agréés/accrédités (voir l’article précédent sur les ensembles démontables, définition sur le site du COFRAC)
– Les exploitants de lieux (catégorie 1) : relation contractuelle avec l’organisateur, il met à disposition un ou plusieurs lieux en ordre de marche
– Le producteur (catégorie 2) : il fournit le spectacle entièrement monté et en détient les droits d’exploitation. Il est à la fois le responsable artistique et l’employeur du plateau artistique
– Le promoteur local : il est chargé de la réservation de la salle, de la vente des billets (organisateur/diffuseur catégorie 3), de l’accueil du public et de la promotion du spectacle
– Direction Générale du Travail
– Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, CRAMIF ou CARSAT à l’échelon régional
– Dispositif prévisionnel de secours (Référentiel section D), réalisé par des associations agréées de sécurité civile
– Conseil national des activités privées de sécurité
– Agent de prévention et de sécurité (CQP)
– Agent de sûreté et de sécurité privée (titre pro A2SP)
– Agent de surveillance de grands événements (CQP)
– Sûreté : Police nationale, Gendarmerie, ministère de l’Intérieur
– Direction générale de la sécurité intérieure
– Fédération française de protection rapprochée
– Sites professionnels d’information Météo (BTP, agricoles, marines, portuaires, aéroportuaires, …)
Rappel législatif Code du travail
Article L4121-1 : L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
– Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;
– Des actions d’information et de formation ;
– La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
Article L4644-1 : L’employeur désigne un ou plusieurs salariés compétents pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels de l’entreprise.
Aide-mémoire
– DPS : Dispositif prévisionnel de secours
– DRIRE : Direction régionale de la recherche, de l’industrie et de l’environnement
– DREAL : Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement
– F4T2 N1/N2 : Formation d’artificier obligatoire pour tirer des pièces de catégorie F4 (firework) et T2 (theater)
– SSIAP : Service de sécurité incendie et d’assistance à personnes
– SSIAP 1 : agent de sécurité incendie
– SSIAP 2 : chef d’équipe
– SSIAP 3 : chef de service
– ENSOP : École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers
– Poste central de sûreté : ensemble des personnels et techniques permettant le contrôle, l’arrêt et la dissuasion des actions de malveillance
– IPRP : Intervenant en prévention des risques professionnels
– HSE : chargé d’Hygiène sécurité environnement
– SDIS : Service départemental d’incendie et de secours
– EvRP : Évaluation des risques professionnels
– SDC : Salarié désigné compétent (Code du travail, médecine du travail)