Itinéraire artistique au parc de la Villette
La deuxième édition du festival Lumières ! a eu lieu au parc de La Villette, à Paris, du 15 décembre 2022 au 1er janvier 2023. Une fin d’année remplie de lumens, sous le signe d’un événement qui se veut original et novateur, accessible et durable. Le Festival a été conçu comme un parcours “féerique” en huit étapes, un itinéraire sensible et luminescent. Organisé par l’Établissement public de La Villette, Lumières ! expose les œuvres d’artistes français et internationaux travaillant avec des technologies à basse consommation énergétique. Une démarche écoresponsable qui inscrit le Festival dans l’actualité.
Espace vert, urbain, multimédia
Organiser un festival artistique dans l’espace public, c’est aussi créer un dialogue entre les œuvres, la ville et ses habitants. Le festival Lumières ! est gratuit et accessible à tous : il n’y a pas de cloison entre la ville et le parc, ni entre le parc et le parcours lumineux. La visite se fait dans un mouvement de continuité avec l’extérieur, au sein duquel les installations multimédias et l’espace public ne font qu’un. L’espace urbain devenant espace d’expression, il constitue à la fois la scène et le support des installations. Le parc de La Villette, en plus d’être le plus grand espace vert de la Ville, participe de manière active à la scène de la vie culturelle parisienne. Conçu par Bernard Tschumi dans les années 80’, il se ramifie en jardins thématiques et installations d’artistes et paysagistes. Les éléments architecturaux et la morphologie du Parc participent à la scénographie du Festival. Entre les œuvres et leur contexte d’exposition vient se créer un rapport de réciprocité au sein duquel l’environnement participe au sens des installations ; et vice-versa, ces dernières permettent de percevoir autrement leur site, que ce soit une rue, un quartier ou, comme dans le cas de Lumières !, un parc entier.
Parcourir le Parc, les œuvres
Le Festival est structuré comme un circuit autour de la Grande halle de La Villette : de la place de la Fontaine-aux-Lions, nous parvenons jusqu’au Canal de l’Ourcq puis, en empruntant la galerie de La Villette, nous bouclons la boucle. Chaque installation entretient un rapport singulier à la déambulation : le spectateur, mobile, est amené à parcourir et à traverser les œuvres, en abordant les installations de points de vue différents. L’architecture du parc culturel nous guide dans ces déplacements : le système de points, lignes et surfaces, pensé par Bernard Tschumi, structure l’espace et ses usages. Tels des repères, les éléments géométriques du parc de La Villette nous guident dans cette virée entre les mots et les images.
Traverser les surfaces
La première partie de l’itinéraire de Lumières ! se déploie sur les Prairies du Triangle et du Cercle, “surfaces” correspondant aux espaces verts du Parc. Le Festival ouvre sur un jardin rempli de lucioles mécaniques : composée de 500 spots LEDs, l’installation Firefly Field du Studio Toer (Pays-Bas) est alimentée par quatre-vingts moteurs à mouvement oscillatoire. La danse des lucioles anime le jardin d’une vibration poétique. Firefly Field est la première installation du parcours mais aussi la première exposition du Studio Toer en France, qui présente son travail conjointement à La Villette à Paris et à la Fête des Lumières de Lyon.
Quelques mètres après cette étendue de lumières, la sculpture Drawn in Light de Ralf Westerhof voltige à 9 m du sol. Présentée en collaboration avec le Light Art Collection d’Amsterdam, l’œuvre mesure 13 m de large ; les dimensions imposantes de l’installation s’opposent à la finesse du fil de fer qui la constitue. Illuminés par des sources Astera AX9 LED, un bâtiment et d’autres éléments urbains pivotent à un rythme lent et continu. Le mouvement du mobile métallique est accompagné par un lent virage du parcours du visiteur. Remontant la prairie, nous nous approchons d’une clairière où se cache le “fruit interdit” du collectif ACTLD.
Saisir les points
Forbidden Fruit utilise l’architecture de la Folie Belvédère comme support et accroche. Ce bâtiment rouge fait partie d’une série de vingt-six bâtisses éparpillées dans le Parc comme des “points” de repère qui le quadrillent. De nombreuses boules à facettes habillent la Folie, dont la plus grande trône au milieu de l’installation avec un diamètre de 3,20 m. Les projecteurs Ayrton Cobra, pointés vers elles, font rayonner les centaines de miroirs sur les arbres et le sol, sur les visages et la structure. L’installation se réverbère dans l’espace environnant et nous plonge dans un nuage de points lumineux.
Aftereal
En poursuivant le parcours, nous parvenons à la Prairie du Cercle, envoûtée par un halo bleu électrique. Cette lumière diffuse provient de Aftereal, installation audiovisuelle de Yasuhiro Chida, artiste japonais originaire de Nagano. Exposée pour la première fois à Paris, l’installation est la plus grande réalisée par l’artiste. Elle est composée de 500 fils fluorescents éclairés par quatorze lampes UV ADJ Encore Burst, ainsi que par des Elation Prisma Wash. Divisée en deux blocs de 250 fils chacun, elle mesure 30 m de long par 50 m de large. Chaque fil est fixé sur une barre métallique équipée d’un moteur ; en tournant à rythme constant, ils font vibrer les fils, de manière aléatoire et à une très grande vitesse. Composée d’éléments très simples, Aftereal est pourtant une installation complexe qui joue avec notre perception visuelle.
– Entre la rétine et le cerveau
L’installation s’inspire du principe de l’image rémanente, phénomène optique défini par la persistance rétinienne de certains objets même après leur disparition du champ visuel. L’installation, nous dit l’artiste, “existe entre la rétine et le cerveau”. La vitesse des vibrations fait que le mouvement perçu par le spectateur est toujours déjà passé : l’œil retient ce qui a déjà eu lieu de l’image. Ce mouvement ininterrompu est accompagné par une composition sonore, créée à partir de bruits collectés par l’artiste au cours de ses voyages. La musique contemplative et cette étendue bleue et filamenteuse participent à une atmosphère de suspens et de lenteur. Le choix du site joue sur le lien entre l’œuvre et son environnement : le bleu des lampes UV fait écho à l’eau du Canal de l’Ourcq. Entre les deux champs lumineux se creuse un passage qui nous guide vers la Petite Folie. D’ici, nous avons accès à la passerelle du Parc qui nous offre un nouveau point de vue sur l’installation : vue d’en haut, Aftereal devient une mer vibrante de lumière.
Constellation
Sur la passerelle de la galerie de l’Ourcq, parallèle au Canal, la Folie de l’Aventure nous indique la perspective idéale pour découvrir Constellation. Réalisée par 1024 Architecture en 2021, cette installation audiovisuelle figure le Canal tel le miroir d’un ciel où se succèdent des constellations imaginaires. La surface de l’eau devient écran pour la projection : une boucle sonore d’environ dix minutes détermine le comportement des images. Puisque les motifs cosmiques sont générés en temps réel et de manière aléatoire, il est impossible de voir deux fois la même constellation apparaître sur la surface de l’eau. Cette approche de la narration permet de développer une histoire propre à chaque lieu d’exposition ; à Paris, par exemple, où le ciel est souvent difficile à voir, l’œuvre assume une nuance poétique particulière.
– Site spécifique & technologie
Constellation a été développée à partir de la morphologie du Parc et des éléments du site ; elle exploite les pylônes soutenant la passerelle comme pieds pour douze projecteurs Laserworld PL-5500RGB Outdoor. À partir des propriétés du lieu, les dispositifs techniques s’inscrivent dans l’espace de manière discrète et minimaliste. Les lasers fonctionnent par paires : l’un projette les points-étoiles, tandis que l’autre projette les lignes qui connectent les étoiles entre elles. Pour ce faire, les lasers sont stackés : cette méthode d’alignement des projecteurs est désormais intégrée à un nombre croissant de logiciels, permettant de travailler avec les lumières et les lasers selon les principes cartographiques du mapping vidéo. C’est notamment le cas de MadMapper, logiciel de mapping créé par 1024 Architecture et garageCube en 2010, qui a récemment intégré l’extension MadLaser, basée sur les protocoles iLda. Conçu pour répondre aux nécessités techniques du studio, ce logiciel a été ensuite commercialisé “par les artistes, pour les artistes”.
Arpenter la ligne
– Site spécifique & narration
L’installation participative de l’association Les Poussières, située dans le Jardin des Miroirs le long de la galerie de La Villette, naît d’une approche concrète de la création in situ. Elle a été conçue à partir de l’histoire du Parc et nourrie par des entretiens avec ses usagers. Le dialogue et l’échange ont permis aux Poussières de créer une œuvre en lien avec la vie du lieu : leur installation renvoie au passé du Parc, qui a été bâti sur le site des Anciens abattoirs de Paris, ainsi qu’à son avenir, puisqu’il va bientôt accueillir une ferme pédagogique. En organisant des ateliers participatifs, à la fois dans des lycées et dans les Folies, Les Poussières a accompagné la construction de ces animaux-lanternes en osier et papier. L’Association a choisi des ampoules différentes pour chaque créature, en fonction de leur taille et de leur emplacement. C’est l’aspect “mystérieux” du lieu qui a inspiré l’installation du bestiaire imaginaire parmi les branches des arbres du Jardin des Miroirs.
L’Association, basée à Aubervilliers depuis 2006, propose une approche inclusive de la pratique artistique et du partage des savoirs. Entre l’aide à la création et l’animation d’ateliers participatifs, son travail témoigne d’un engagement qui rayonne au sein du festival Lumières !
Interactions
La galerie de La Villette est l’une des deux “lignes” de circulation traversant le Parc. La participation active du public est l’élément caractérisant les deux dernières installations le long de cet axe, entre la Folie des Merveilles et la place de la Fontaine-aux-Lions. L’installation interactive Singing light du Groupe LAPS, structure de production artistique basée à Montreuil, voit la lumière réagir à la justesse de la voix du spectateur chantant. Le Sapin de Noël écoresponsable de Ludik Énergie s’active grâce au pédalage des spectateurs sur les vélos qui entourent l’arbre métallique. Ce système ludique “voit” les branches LEDs s’allumer lorsque l’effort nécessaire est fourni. Derrière le sapin, un compteur affiche l’énergie produite en watts/heure : après les quinze jours de Festival, le public a pédalé à la hauteur de 23 000 watts/heure, ce qui correspond à l’effort moyen d’un cycliste pendant le Tour de France…
Vélo, frigo, écolo
… ou alors à la consommation d’un frigo branché pendant un mois ! La démarche écoresponsable est mise à l’honneur par le Festival, qui a ainsi pu avoir lieu à une période où la question de la consommation énergétique a été très débattue. La sélection d’œuvres présente exclusivement des installations engageant des technologies à basse consommation : les lasers étanches utilisés par 1024 Architecture, par exemple, permettent un rendement lumineux très efficace tout en ayant un faible besoin énergétique. Le studio estime par ailleurs un bilan énergétique positif pour son installation, puisque les projecteurs du Parc ont été éteints pour éviter la pollution lumineuse du site.
Dans le milieu des festivals de lumière dans l’espace public, la question de la consommation énergétique est de plus en plus traitée et explicitée, à la fois par les institutions culturelles mais aussi par les artistes dans la conception de leurs œuvres. La présence d’installations sensibles à ce sujet contribue-t-elle au développement d’une conscience écologique du milieu culturel ? Elle participe certainement au développement de dispositifs technologiques novateurs au sein d’installations audiovisuelles, tout en contribuant à l’émergence d’une nouvelle esthétique lumineuse.
L’article a été écrit d’après des entretiens avec Pier Schneider, cofondateur du studio 1024 Architecture, Yasuhiro Chida, Elsa Kartouby de l’association Les Poussières et Anne Sérièges, cheffe de service à l’Établissement public de La Villette. Merci également à Léa Branchereau-Angelucci de l’agence Pierre Laporte.