“Avec le numérique, nous risquons de perdre un espace commun”
Jean-Gabriel Ganascia est philosophe et informaticien, chercheur en intelligence artificielle au Lip6 (Laboratoire informatique de Paris 6) et président du comité d’éthique du CNRS. Pour lui, l’essor des outils numériques connectés qui “aspirent” nos données pose question en matière de libertés et contribue à l’éclatement de nos sociétés. À nous de nous en emparer pour reconstruire, avec eux, du commun.
Depuis quand parle-t-on d’intelligence artificielle ?
Jean-Gabriel Ganascia : En 1955, des mathématiciens américains créent une discipline consistant à étudier l’intelligence avec un nouveau type de machines : des ordinateurs. Pour eux, l’intelligence n’est pas une substance. Certains nous laissent entendre qu’on peut comparer des intelligences. L’intelligence correspond à l’ensemble de nos facultés cognitives. Elle comprend la mémorisation, la perception, l’apprentissage, la capacité de communication, d’action. Ces jeunes scientifiques pensent alors que l’on va pouvoir décomposer l’intelligence en fonctions élémentaires avec les machines. Nous pourrions ensuite assimiler ces fonctions et les utiliser dans des applications pratiques. Cela a donné naissance à beaucoup de dispositifs. Par exemple, le Webest construit sur un modèle de mémoire. En utilisant l’hypertexte, nous sommes un peu comme monsieur Jourdain : on fait de l’intelligence sans le savoir.