“Le monde selon l’IA” et ses espaces

Exploration dans l’exposition du Jeu de Paume

Le monde selon l’IA, c’est le titre de la nouvelle exposition du musée du Jeu de Paume à Paris qui ouvre demain 11 avril 2025. En s’infiltrant dans l’ensemble des espaces du bâtiment, l’exposition explore le phénomène récent de l’intelligence artificielle générative et ouvre les perspectives d’un temps plus long grâce à ses capsules temporelles et sa scénographie en grande partie réemployée. En oscillant de l’espace latent à l’écrin scénographique proposé par Pauline Phélouzat, quel(s) monde(s) s’offre(nt) finalement à nous ?

Il est certainement question d’ancrage dans le premier de ce(s) monde(s) ; dans celui qui nous grille la rétine dans notre société saturée d’images mais aussi dans celui qui part à la recherche des racines de nos images. Prolongeant les réflexions de l’exposition Le supermarché des images, présentée quelques semaines en 2020 dans ces mêmes murs, Le monde selon l’IA interroge la capacité de l’intelligence artificielle à révolutionner la création, la diffusion et la réception de ces images. Disséminée dans le parcours de l’exposition, les vitrines ou capsules temporelles “agissent comme des cabinets de curiosité ou des incursions dans le temps pour situer certains phénomènes liés à l’IA”, nous explique l’une des commissaires associées, Ada Ackerman. Grâce à celles-ci, des ponts sont réalisés avec la “reconnaissance faciale automatisée [qui] trouve des précédents dans l’utilisation de la photographie du XIXe siècle à des fins de fichage mais aussi si nous remontons un peu plus le temps en allant du côté de la physiognomonie telle qu’elle est promue par Johann Caspar Lavater au XVIIIe siècle qui proposait de décoder les visages selon certains critères spécifiques”.(1)

The Oasis i deserve d’Inès Sieulle (2024) – Photo DR

Les transformations profondes de la fabrique de l’image grâce aux technologies de l’IA bouleversent l’histoire de l’art et ses théories. Au point où de nouveaux concepts doivent émerger selon Antonio Somaini, commissaire général de l’exposition. Il suggère une théorie de l’espace latent, “un concept fondamental dans le domaine de l’apprentissage automatique et de l’intelligence artificielle qui fait référence à l’espace abstrait au sein duquel des objets numériques complexes, caractérisés par un grand nombre de dimensions (comme les images, fixes ou en mouvement, et les textes), sont restitués sous une forme simplifiée, en un nombre réduit de dimensions, afin d’être traités lors d’opérations mathématiques”.(2)

Modélisation 3D du rez-de-chaussée de l’exposition Le monde selon l’IA au Jeu de Paume – Document © Pauline Phélouzat

Si les espaces du Jeu de Paume sont bien connus de la scénographe Pauline Phélouzat qui se plaît à exploiter ses grandes hauteurs et chercher ses perspectives, il ne faut pourtant pas confondre scénographie, œuvres et concept selon elle. “On m’a demandé de produire un écrin pour les œuvres ; je créé des espaces pour les mettre en valeur mais reprendre les concepts dans la scénographie c’est prendre le risque qu’un trouble s’installe dans la visite”.(3) Le parcours se divise alors en deux grands registres : le rez-de-chaussée accueille l’IA analytique tandis que l’IA générative s’étale à l’étage. Il s’est agi principalement d’un travail d’agencement, d’imbrication alors que les productions des artistes sont assez fortes et les univers très variés. Dans ce cadre, Pauline Phélouzat explique qu’après visite du rez-de-chaussée “très muséale, presque clinique grâce à l’utilisation des trois couleurs blanche/grise/noire, l’étage prend une dimension plus fictionnelle, voire théâtrale ou scénique, avec une colorimétrie très particulière”.

Plan de la salle°1 de l’exposition Le monde selon l’IA au Jeu de Paume – Document © Pauline Phélouzat

En réutilisant en grande partie les cimaises de la précédente exposition, l’agencement entre les œuvres et capsules fabrique un parcours qui dispose de certaines salles très denses avec beaucoup de contenus, tandis que d’autres sont plus immersives avec un.e seul.e artiste présenté.e. Pauline Phélouzat explique que si “l’espace reste peu flexible, notamment en termes d’électricité, le réemploi de la scénographie, composée notamment de cimaises à ossature métallique avec coffrage en MDF, a permis l’installation de petites régies techniques” lorsque les œuvres en nécessitaient. Ces petits espaces cachés sont peut-être les tréfonds de l’espace de l’exposition ; il reste que sans eux, les opérations mathématiques qui mènent à la production de nouvelles images ou à la transformation d’images préexistantes ne nous parviendraient jamais de l’espace latent.

xhairymutantx d’Holly Herndon & Mat Dryhurst (2024-2025)

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