Scénographie potentielle et espace muséographique modulaire

Les demandes finalement simples des arts numériques

À l’heure où Le Cube Garges, pôle d’innovation culturelle interdisciplinaire et numérique de 10 000 m² du Val-d’Oise, vernit sa nouvelle exposition, nous avons rencontré le commissaire d’exposition et critique d’art Clément Thibault. Dans le hall d’exposition et confortablement installé dans l’installation vidéoludique Everything (2017) de David O’Reilly, il a ouvert les sujets de la scénographie de son exposition Sous le même ciel ? et des espaces muséographiques des arts numériques.

Le Cube Garges – Photo © Sergio Grazia

Vous avez verni la semaine dernière l’exposition Sous le même ciel ? Pouvons-nous revenir sur le cadre de l’ouverture de cette exposition ?

Clément Thibault : Sous le même ciel ? est le deuxième opus d’une saison sur le cosmos. L’exposition précédente, Derrière les étoiles, portait sur les images de l’exploration spatiale. Aujourd’hui, nous nous intéressons au cosmos en termes d’organisation. Le corpus d’œuvres présenté met en évidence l’intersection féconde entre le jeu vidéo et les pratiques artistiques. Des installations vidéoludiques permettent de montrer d’autres manières de considérer le gameplay notamment. C’est grâce à Isabelle Arvers, conseillère scientifique de l’exposition, que nous avons pu faire un tour du monde des jeux vidéo indépendants. Les pratiques du jeu vidéo se déploient en effet selon une écriture multimodale, fabriquant ce que nous appelons un worldbuilding (construction d’univers) complexe allant de la construction de l’univers virtuel, au lore, à la narration au-delà de l’intrigue, et celle de l’écriture sonore. L’enjeu de cette exposition était de comprendre comment ces écritures renouvellent nos mythologies, nos cosmologies et viennent nourrir un nouvel état de l’art où la simulation devient très importante.

Vue de l’œuvre Everything (2017) de David O’Reilly dans l’exposition – Photo © Quentin Chevrier

Comment avez-vous construit le parcours de l’exposition ?

Clément Thibault : Nous avons souvent développé des parcours linéaires, chapitrés. Celle-ci elle est beaucoup plus ouverte. Nous avons fait le choix d’un parcours selon trois transversales : la première est celle de la notion d’avatar, la seconde porte sur les notions de géographie appliquées au jeux vidéo et donc de worldbuilding qui relève de la construction de cartographies ; La dernière porte d’entrée est celle du lore et de la narration qui se recoupent très souvent dans l’exposition à la fois dans les peintures de Lucien Murat que des manières radicalement différentes d’imaginer des mondes comme le jeu vidéo Morphogenic Angels (2022-2023) du collectif Keiken.

Public jouant à Morphogenic Angels (2022-2023) du collectif Keiken – Photo © Quentin Chevrier

Nous sommes dans un espace complexe du bâtiment, dans la mesure où c’est à la fois le hall d’accueil, avec son café, mais aussi celui faisant office de transition entre l’entrée du bâtiment et l’espace de la Fabrique et ses studios. Il coexiste aussi entre un petit jardin intérieur et une grande ouverture vers le dehors. Ce sont des espaces qui sont très chargés.

Clément Thibault : L’exposition d’art contemporain s’est construite selon le modèle du white cube, un lieu qui neutralise et intemporalise totalement les espaces. Les arts numériques, de leur côté, se sont construits à travers le modèle de la boîte noire, un lieu synthétique où l’on contrôle toutes les dimensions. Nous avons ici un lieu qui s’éloigne très largement de ces deux situations en étant composé à 80 % de baies vitrées, à 20 % de parois de couleur cuivre et qui ne dispose pas de cimaises. C’est un bel espace mais effectivement difficilement praticable.

Plan du Cube Garges -Document © Le Cube Garges

Quelles sont les pistes de réponse envisagées à ces difficultés ?

Clément Thibault : Une restructuration des espaces est en vue à terme. Le Cube Garges est un lieu qui n’a pas été construit pour faire de l’art numérique et le hall n’a pas été construit pour accueillir des expositions. Nous travaillons aujourd’hui avec des architectes scénographes au sujet de ces différents enjeux : installation d’un gril technique, occultation des baies vitrées, installation de planchers techniques, centralisation des systèmes électriques. Finalement, nous sommes encore dans une logique assez artisanale et souhaiterions, à terme, développer une logique beaucoup plus intégrée.

Cela signifie une transformation concrète du bâtiment.

Vue de l’exposition Sous le même ciel ? – Photo © Quentin Chevrier

Si nous nous projetons un peu, de quoi parlons-nous ? Une obstruction, des cloisonnements d’espace ?

Clément Thibault : Non, nous ne souhaitons pas fermer nos espaces mais leur permettre une modularité. Lorsque nous proposons une exposition, les demandes et besoins des artistes sont extrêmement variables d’un projet à l’autre. Donc nous n’avons pas besoin d’un lieu figé mais d’un lieu modulaire, or là il ne l’est pas. Ce que nous aimerions c’est ce plafond technique qui nous permet l’installation de perches d’accroche de projecteurs ou la possibilité d’occulter grâce à un système de rideaux. La présence de trappes au sol est également envisagée. Nous travaillons beaucoup plus dans une logique de potentialités. La potentialité ouvre ce que nous pouvons faire tandis que l’espace trop contraint se ferme, tout simplement.

Vue de Morphogenic Angels (2022-2023) du collectif Keiken – Photo © Quentin Chevrier

Quel serait le musée d’art numérique idéal selon vous ?

Clément Thibault : Il n’y a pas de lieu idéal, il y a des états de rencontre entre des œuvres et des lieux. L’art numérique est assez matriciel finalement. L’art numérique se compose parfois de fiches techniques en vue d’une reproduction d’œuvre très fidèle mais il existe selon le hardware ou software utilisé, une part d’adaptation aux lieux. L’endroit idéal pour accueillir les arts numériques est celui où tu gères un espace de manière synthétique avec le plus de précisions, c’est donc finalement celui de la boîte noire. Néanmoins, se limiter à un système de boîte noire, c’est aussi se limiter à une richesse : standardiser c’est toujours limiter. Cet espace du hall d’exposition du Cube Garges, avec toutes ses difficultés, peut aussi sublimer des projets. Ce que nous voulons faire du Cube Garges, c’est permettre, suivant les espaces, l’accueil de différents projets. Ce qui manque, c’est une petite boîte noire pour des projets, un peu intermédiaires. Finalement, différents espaces peuvent être des habitats naturels pour différents types d’œuvres et c’est ce que nous essayons de construire avec l’équipe de la direction : des espaces pouvant accueillir tout type d’œuvre. Actuellement, il manque un espace de type boîte noire de taille moyenne, à l’échelle de 100 m² pouvant accueillir de la performance avec une jauge de 70 personnes. C’est un espace qui devrait voir le jour d’ici à 2027/2028.

 

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