Nous évoquions récemment l’ouverture du Sommet pour l’action sur l’Intelligence Artificielle et l’un de ses événements associés. Il est temps aujourd’hui de s’ouvrir à d’autres points de vue, aussi et surtout parce que c’est dans un théâtre, comme lieu et architecture de la contestation, qu’ils se sont exprimés. Initié par Éric Sadin, écrivain et philosophe spécialisé dans les technologies numérique et l’intelligence artificielle, et le SNJ (Syndicat national des journalistes), le Contre-sommet de l’IA s’est ouvert à deux pas du Grand Palais, au Théâtre de la Concorde. Nous y avons rencontré Elsa Boublil, directrice, qui milite “pour un humanisme de notre temps”.

Ouverture du Contre-sommet au Théâtre de la Concorde – Photo © Guillaume Bontemps
Comment ce Contre-sommet est-il arrivé ici, au Théâtre de la Concorde ? Et quelles motivations vous ont poussée à l’accueillir ?
Elsa Boublil : Le Contre-sommet de l’IA est arrivé ici assez simplement finalement. J’ai eu un appel d’Éric Sadin, et le journaliste Éric Barbier s’est ensuite rapproché de moi. J’ai étudié de près ce qu’ils me proposaient et, l’un dans l’autre, notre union semblait correspondre. La motivation est aussi très simple : le Théâtre de la Concorde est un lieu où l’on réfléchit à la démocratie à travers l’art, or l’IAG (Intelligence artificielle générale) est un enjeu démocratique majeur. C’était ainsi l’occasion de pousser un peu plus le curseur des séminaires sur l’IAG que nous menons ici depuis le mois de novembre avec Sciences Po. Alors que tout proche, le Chef de l’État organise un Sommet afin de réfléchir et enclencher de nouvelles choses certainement intéressantes, l’organisation d’une journée complète de réflexion était l’occasion de se poser deux minutes et de demander ce que celui-ci engageait.

Elsa Boublil – Photo © Théâtre de la Concorde
D’ailleurs, qu’est-ce qu’un Contre-sommet ?
E. B. : La sémantique du Contre-sommet est un peu contestataire et ne recouvre pas totalement notre idée. C’est pour cela que je tenais beaucoup au sous-titre “Pour un humanisme de notre temps”. Un Contre-sommet c’est dire en bon français que nous n’allons pas être toutes et tous d’accord et que nous allons prendre le temps de réfléchir. L’idée est de dire : attention, il n’existe pas un chemin unique.
Comment avez-vous organisé la journée avec Éric Sadin ?
E. B. : J’ai seulement supervisé la journée ici. Nous avons bâti ensemble les grands temps forts au départ et orienté les axes composant cette journée ainsi : environnement, éducation, travail et Culture. Puis je l’ai laissé faire ses invitations aux intervenant.e.s.

Les effets de l’IAG sur l’environnement – Photo © Guillaume Bontemps
Comment voyez-vous la place du théâtre dans la cité ?
E. B. : Le théâtre dans la cité n’est pas un pouvoir à part entière mais il vient l’interroger avec sa politique, et bousculer l’ordre établi. Le théâtre est né en même temps que la démocratie dans la Grèce antique et ce n’est pas tout à fait par hasard si je me place dans ce contexte-là. Un théâtre doit occuper cette place du dérangement, de l’interrogation et être en mouvement par rapport à ce qu’il se passe.
Éric Sadin rappelait, en tout début de Contre-sommet, que ses approches seraient celles du témoignage et de la mobilisation. Pensez-vous que l’organisation de cette journée suffit véritablement à faire “Contre-sommet” ?
E. B. : Selon moi, le plus important selon moi est que l’on puisse dire ce que l’on pense et ne pas être d’accord. La virulence, ce n’est pas grave si l’on ne monopolise pas la parole. En ce moment, nous avons peur des gens qui ne sont pas d’accord. Le groupe [du collectif Anti-tech Résistance], qui a investi le plateau en tout début d’après-midi alors que le Contre-sommet n’était pas encore ouvert, m’a beaucoup émue. Il y avait un besoin de se faire entendre comme s’il y avait un problème d’écoute. Et je pense qu’il y a un problème d’écoute dans la société ; et si ce théâtre peut être ce lieu où l’on est capable de rester à l’écoute, sans s’énerver, mais en faisant entendre sa voix, alors nous aurons réussi quelque chose.

Fabien Lebrun, intervenant lors du Contre-sommet de l’IA – Photo © Guillaume Bontemps
Selon vous, quelle est la place de l’IAG au théâtre ? Et dans le monde de la Culture ?

Les effets de l’IAG dans les métiers de l’information et de la Culture – l’écriture – Photo © Rémy Ebras
E. B. : C’est tout le sujet finalement de ce Contre-sommet. Je viens de vous faire part de mon émotion, et je pense que tout ce que l’IA apporte est incroyable. J’ai d’ailleurs partagé un prompt ce matin pour la première fois à ChatGPT : “Quel serait le discours de l’IA sur l’IA ?”. Il m’a répondu des choses de bons sens en se souciant de ne pas oublier l’humain dans son développement. J’ai entamé mon introduction cet après-midi avec ces mots : “Nous n’avons pas de soucis à nous faire”. Alors que l’IA se développe et que les industries culturelles prennent un chemin marqué dans le numérique, la maire de Paris a fait un geste fort en souhaitant ouvrir un nouveau théâtre de la ville de Paris à la rentrée 2024, parce que c’est un lieu où les gens se rassemblent. Mon expérience me dit que, quoi que l’on dise ou que l’on fasse, rien ne remplacera l’humain, ni l’émotion, ni la vibration. On peut parler d’intelligence artificielle tant que l’on veut, mais elle ne produira jamais cela. Ce qui s’est déroulé en début d’après-midi, il n’y a qu’avec des humains que cela se passe, et cela me plaît.