Si le troisième Sommet pour l’action sur l’IA s’ouvrait la semaine dernière et innovait à Paris avec son Week-end Culturel, le Théâtre national de Chaillot prolonge quelques temps celui-ci grâce à l’inauguration de sa deuxième édition de Chaillot Augmenté. En s’associant au TMNlab dans l’organisation de rencontres mêlant art vivant et environnements numériques, publics et professionnel.le.s sont convié.e.s à se rendre à cet événement décliné en quatre formats : tables rondes, ateliers, espaces de démonstration et d’échanges. Le Théâtre national de Chaillot et son directeur délégué, Pierre Lungheretti, se présentent ainsi en pionniers du développement de la production et de la diffusion d’expériences immersives dans le champ de la chorégraphie, et envisagent les aspects économiques d’une telle ambition.

Vue du Palais de Chaillot depuis la Place du Trocadéro – Photo © Didier Monfajon
Vous accueillez de nombreux événements – danse dans vos salles, Chaillot Expérience, Chaillot Invite –, mais cette semaine il s’agit d’un événement Chaillot Augmenté. Pouvez-vous revenir sur la naissance de ce concept “Augmenté” à Chaillot ?
Pierre Lungheretti : Chaillot Augmenté est un concept ombrelle pour une orientation générale qui a plusieurs composantes. L’idée de Chaillot Augmenté est de travailler la dimension numérique de l’art chorégraphique dans plusieurs directions. Une première direction, que nous avons déjà mise en œuvre dans la saison 22/23, était de faire un focus numérique dans notre saison. En tant que site olympique, nous n’avions pas pu le faire lors de la saison 23/24 car nous étions très investis par les Jeux Olympiques de Paris. Lors de la première édition, il s’agissait de présenter des œuvres mobilisant des outils numériques, des œuvres chorégraphiques ou de spectacle vivant avec des éléments chorégraphiques qui mobilisent des outils du monde digital ou de l’environnement digital. Il s’agit donc d’un volet de diffusion d’œuvres que nous avons refait cette saison sans faire de focus numérique spécifiquement. Le parti pris en 24/25 est de proposer, tout au long de la saison, des œuvres qui comportent une dimension numérique/immersive, avec de la réalité étendue comme nous l’avons fait par exemple pour le Chaillot Expérience #2 Taïwan où nous avons présenté une œuvre immersive.
Vous présentez toutefois cette semaine un focus sous la forme de rencontres : Chaillot Augmenté x Rencontres TNMlab ?
P. L. : En effet, le Chaillot Augmenté x Rencontres TNMlab constitue la deuxième composante de cette orientation générale. Il s’agit d’un séminaire autour de spectacles vivants et du numérique. À partir du constat qu’il y a encore beaucoup d’artistes et d’acteurs culturels qui sont éloignés de cet environnement numérique, de sa technologie, de ses logiques de fonctionnement, de toutes ses potentialités en matière créative, nous avons donné comme objectif à ces Rencontres de proposer un espace de réflexion, de sensibilisation, de médiation entre le monde du spectacle vivant et la filière des nouvelles technologies pour créer cette acculturation, cette meilleure interconnaissance entre les deux secteurs.

Vue du Théâtre national de Chaillot depuis les Jardins du Trocadéro – Photo © Patrick Berger
Comment le Théâtre national de Chaillot a-t-il structuré son approche du numérique et des outils digitaux ?
P. L. : Nous en avons fait un projet que nous avons déposé dans le cadre de l’appel à projets “Culture immersive et métavers” de France 2030. Il s’agit du Projet Calypso soit le Choreographique Art Lab for Immersive Public and Spaces. Il s’agit d’un laboratoire permanent dédié au numérique, à l’immersif et aux réalités tendues, pour la création dans le champ chorégraphique. Nous voulons mettre en œuvre un véritable espace d’accompagnement à destination des artistes pour qu’ils puissent créer des œuvres, innover, expérimenter dans cet environnement du numérique. Nous nous sommes structurés grâce à l’organisation d’un consortium dont font notamment partie le TMNlab, un laboratoire de recherche de l’Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis, et tous ces producteurs reconnus, comme Lucid Realities par exemple.
Ce sont effectivement tous.toutes des intervenant.e.s des Rencontres de la semaine. Comment se déroulent ces deux prochains jours ?
P. L. : Nous avons conçu, avec le TMNlab, ces deux journées sous quatre composantes. La première est l’objet de rencontres, débats, tables rondes ; la seconde se compose d’ateliers, retours d’expériences en plus petits groupes avec des sujets plus pointus. Nous proposons également une composante démonstration, et enfin un espace de pair-à-pair dédié aux échanges pour que soit facilitées les rencontres entre des artistes, des acteurs culturels et des acteurs de la filière tels que des producteurs ou experts.
Comment avez-vous composé le format plénière ?
P. L. : Dans le cadre des échanges, nous avons essayé de donner un panorama sur les grands enjeux qui concernent ce lien entre spectacle vivant et environnement numérique sur la question technologique et ses évolutions. Nous évoquerons également les enjeux liés aux processus d’écriture avec notamment une intervention d’Élisabeth Gravil, ainsi que la question du rapport aux publics. Il s’agissait également d’apporter une dimension relative aux modèles économiques dans lesquels nous évoluons. Lorsqu’on se lance dans un laboratoire tel que le Projet Calypso, c’est évident que cela remet à plat un certain type de modèle économique de type théâtre public. Les attendus d’un appel à projets tel que France 2030, c’est qu’à un moment donné nous trouvions l’autofinancement de ce laboratoire. Les subventions de l’État ne dureront pas ad vitam æternam ; elles sont limitées dans le temps, permettent d’amorcer une dynamique ; mais ensuite, c’est à nous de trouver l’équilibre économique et cela se fait dans sa confrontation au marché. C’est tout à fait nouveau dans le théâtre public parce qu’il est subventionné par les pouvoirs publics. Ainsi, travailler à la confrontation aux marchés, cela nous fait changer de modèle, nous oblige à penser différemment, à penser aussi la segmentation des publics avec des outils marketing sans pour autant renoncer à notre spécificité qui serait une forme d’exigence artistique, d’ambition artistique. Nous voulons que ce Projet Calypso ait une ambition internationale, nous souhaitons attirer des talents, des grands noms de l’art chorégraphique à l’échelle internationale mais dans cette capacité aussi à se confronter à un marché qui est très évolutif, en phase de maturation. C’est quelque chose de très intéressant parce que cela fait bouger les lignes. Nous proposerons donc cet aspect lié aux modèles économiques dans ce séminaire : comment le numérique fait évoluer notre réflexion sur les modèles économiques ? Enfin, nous proposons un dernier volet plutôt prospectif qui se demande quelles sont les prochaines évolutions et innovations que nous pouvons attendre dans le champ du numérique.

Spectacle Acqua Alta d’Adrien M & Claire B. – Photo © Romain Étienne
Alors que le Sommet pour l’action sur l’IA se déroulait la semaine dernière, comment considérez-vous – voire intégrez-vous – les nouvelles technologies au sein du Théâtre national de Chaillot ? J’entends que la programmation y est sensible, sous les angles de la production ou de la diffusion de pièces voire dans ses Rencontres telles que les deux prochains jours. Mais sont-elles aussi au programme de l’équipement technique du Théâtre voire de la formation de ses salarié.e.s ?
P. L. : Dans le Projet Calypso déposé en novembre dernier à France 2030, il existe un volet équipement du Théâtre autour de ces technologies et qualification du personnel pour faire fonctionner ces technologies et pouvoir accompagner les artistes avec expertise. Nous ne voulons pas faire du Projet Calypso une filiale qui soit autonome au sein du Théâtre de Chaillot. Au contraire, nous souhaitons en faire un service de Chaillot, c’est-à-dire que nous voulons pleinement l’intégrer au sein de la Maison Chaillot et le mettre en interconnexion avec l’ensemble du personnel. Qu’il s’agisse de la direction technique, de la direction de la production et de tournées, de la direction de communication, ou de billetterie. À un moment ou un autre, tous les services seront en interconnexion avec le Projet Calypso. Évidemment il y a un enjeu d’acculturation et un enjeu d’une forme de symbiose entre ces environnements numériques qui prennent une place croissante dans nos vies et il s’agit pour nous de travailler en interaction avec ces formes-là. Nous ne voulons pas séparer le plateau traditionnel et ces expérimentations numériques. Nous voulons que cela reste dans une logique d’allers-retours parce que c’est un enrichissement mutuel et qu’il n’y a pas de fossé à créer entre les types d’expérience.
Dans le cadre de son projet Chaillot Augmenté, Chaillot s’associe au TMNlab pour concevoir deux journées de rencontres, les jeudi 13 et vendredi 14 février, mêlant spectacle vivant et numérique.