La scénographie d’“Okina”, un modèle d’économie circulaire de la scène

Des ateliers de construction du Théâtre de l’Aquarium à l’architecture du théâtre nô japonais, Maxime Kurvers signe, avec Anne-Catherine Kunz, et c’est une première, la scénographie de son dernier spectacle Okina. À l’occasion des prochaines représentations sur le plateau qui a vu naître le spectacle, Maxime Kurvers s’est confié quant à son rapport à la scénographie, domaine étudié au TNS, et à propos de celle de ce projet, constituée d’objets pauvres.

Okina – Photo © Yves Bittar

Rémy Ebras : Lorsque je découvre votre travail en 2018, avec La naissance de la tragédie, je me souviens d’un plateau nu et de lumières de type services. Aujourd’hui, vous collaborez avec le Théâtre qui dispose de l’une des rares ressourceries du spectacle d’Île-de-France. Que s’est-il passé entre temps ?

Maxime Kurvers : Mon travail se réduit à très peu d’objets matériels effectivement. Toutefois, une quinzaine de toiles peintes, dont on n’apercevait que le pied, étaient suspendues dans la cage de scène du spectacle et constituaient le dispositif de La naissance de la tragédie. Elles ne bougeaient jamais, c’était comme l’évocation des possibilités du théâtre qui étaient là, mais jamais activées. L’idée était de dire que la scénographie agissait comme un sur-moi dont l’acteur, Julien Geffroy, n’avait finalement pas besoin, et toutes les strates des théâtralités passées auxquelles il se référait, ne nous atteignaient que par le langage.

Okina – Photo © Patrick Berger

Dans le cadre du projet Okina, vous signez la scénographie avec Anne-Catherine Kunz. Comment avez-vous engagé le processus de travail ?

M. K. : C’est le premier projet dont la scénographie est signée, et qui possède vraiment une installation. L’invisibilisation souhaitée des toiles peintes de La naissance de la tragédie mettait l’acteur dans une position de squatteur d’un théâtre en jachère. L’accent était mis sur le lieu théâtral lui-même et non pas sur la notion décorative. La pièce de nô Okina est très spécifique : elle ne possède pas de script narratif et est constituée quasiment exclusivement de danses et de chants. Comme la ressource de son récit est cette pièce qui se déroule dans l’espace du nô, espace à la dimension rituelle quasiment sacrée, j’ai jugé important, d’un point de vue signifiant, que le dispositif théâtral soit un espace didactique. Le dispositif mis en place évoque ainsi le plan symbolique du théâtre nô originel à savoir : la scène est soutenue par quatre poteaux qui ont une portée imaginaire et symbolique. Si nous ne rattachions pas l’espace dans lequel nous sommes concrètement, à ces valeurs, à cet imaginaire, il me paraissait plus compliqué de pouvoir s’imaginer ce qu’est ce spectacle-là. Le théâtre nô est un théâtre d’acteurs, extrêmement codifié, avec des costumes magnifiques, et c’est précisément cette architecture du théâtre nô très marquée qui nous amène à la fabrique de la scénographie. Cette vision de l’architecture en plan, via un jeu de proportion – la scène a toujours la même dimension de 5 m x 5m – impose un devenir presque sculptural des acteurs. La conception de ce dispositif scénique avec Anne-Catherine Kunz, entre présence costumée et cet espace relativement réduit, est une manière de rendre compte des tensions inhérentes de la pièce.

Plan général – Document © Manon Lauriol

Quelle est finalement la scénographie de ce projet ?

M. K. : La scénographie du projet vient de nos deux pratiques respectives avec Anne-Catherine Kunz, qui est costumière à l’origine. Elle a une approche du costume comme recyclage, bricolage, fabriquée d’un mélange d’éléments précieux et banals, d’éléments qui agissent comme citations, d’autres presque de l’ordre du reenactment par moment. La naissance de la tragédie, ou après Théories et pratiques du jeu d’acteur.rice (1422-2022), et maintenant Okina, n’ont pas à voir de manière directe avec le reenactmeent théâtral. Ces spectacles ont plutôt à faire avec la manière dont les acteurs, qui sont les premiers concernés par cette histoire du théâtre a priori, peuvent tendre par leur imaginaire, leur plasticité physique, vers une version personnelle de ces histoires de théâtre. Donc l’idée du bricolage, comme bricolage conceptuel, me semble tout à fait adéquat d’un point de vue esthétique et mental. Finalement ce que je demande aux acteurs de faire sur la scène, c’est la même chose.

Concrètement, l’espace est meublé d’éléments très simples : une petite toile peinte récupérée, et tout l’espace est concentré sur la table de travail de Yuri à jardin du plateau. La scénographie repose sur l’idée partiellement documentaire ou fictionnelle, que l’espace que l’on voit – et ce qu’il va s’y passer – est entièrement pétri de la subjectivité de son actrice. Il y a alors une table de travail avec les rouleaux de scotch, des bouts de ficelles, et c’est à partir de ces éléments pauvres que Yuri essaie de rendre compte de ce qu’est cet espace sacré du théâtre nô, de ce que l’on peut y faire ou non, tout en incluant l’histoire d’Okina.

Coupe – Document © Manon Lauriol

D’où proviennent tous ces objets justement ?

M. K. : Nous avions deux ressources principales : le stock d’accessoires et costumes d’Anne-Catherine où nous avons récupéré une collection de rouleaux de stock amassé de l’ensemble de ses tournées et de son travail des années précédentes, des morceaux de ficelles et beaucoup de rebuts accumulés. La deuxième richesse, c’est celle de la ressourcerie. Tout l’intérêt du plateau du Théâtre de l’Aquarium c’est qu’il est inséré entre une surface de stockage de la ressourcerie et un atelier de construction. Comme le plateau est idéalement situé entre ces deux espaces, la conceptualisation et la production ne sont pas du tout séparées. Nous avons ainsi pu travailler de manière tout à fait libre. C’est un espace-temps qui a permis de façonner la scénographie en autonomie, sans aller chercher quoi que ce soit ailleurs. Merci à Jean Lynch, de l’équipe du Théâtre, qui nous a accompagnés tout au long de cette création. Je désirais que l’intégralité du spectacle (costumes, scénographie et lumières) tienne dans une valise. L’idée d’un décor qui impose un suivi de tournée était proscrite. Le spectacle repose ainsi dans cet équilibre, entre cette valise que l’on ramène et des demandes techniques, systématisées via la fiche technique. C’est la ressourcerie du Théâtre de l’Aquarium qui a réuni l’ensemble de nos demandes pour les dates parisiennes.

Plan de feux – Document © Manon Lauriol

Okina, vendredi 24 janvier à 20 h 30 et samedi 25 janvier à 19 h au Théâtre de l’Aquarium, La Cartoucherie – 2 route du Champ de Manœuvre – 75012 Paris.

À l’occasion de sa venue, et pour mieux découvrir sa démarche de réemploi, une visite de la ressourcerie suivie d’une discussion autour des éléments du décor avec Maxime Kurvers est programmée le samedi samedi 25 janvier à l’issue de la représentation.

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