Cela faisait 15 ans que nous n’avions pas donné la parole à Richard Peduzzi dans la Revue. C’est Mahtab Mazlouman qui s’entretenait alors longuement avec lui au Musée du Louvre dans le cadre de Rêve d’Automne, et c’était en 2010. À l’occasion de l’exposition au Mobilier national à Paris, Richard Peduzzi. Perspective. Mobilier, décors, dessins, l’AS va de nouveau à sa rencontre et prend le temps de comprendre ce que cette exposition représente pour lui.
Comment avez-vous dessiné votre exposition ? Avec quels outils ? Quelle peinture/paysage vouliez-vous lui donner ?
R. P. : J’avais à la fois envie de montrer mon travail de peintre et la pluridisciplinarité de ce qu’on appelle la scénographie et des arts décoratifs, qui sont très liés. Mon idée était de montrer ce pour quoi j’avais vraiment plaidé alors que j’étais directeur de l’École des arts décoratifs, cette histoire de pluridisciplinarité. Finalement, quelqu’un qui travaillait l’espace devait pouvoir travailler l’espace d’exposition, connaître les styles et pouvoir faire de l’architecture d’intérieur. Grâce au savoir du dessin, il pouvait designer un meuble, s’occuper de la lumière, et de tout ce qui fait la noblesse et la grande variété des arts décoratifs, et en même temps en ayant une seule ligne.
Comment avez-vous conçu la scénographie en accord avec la muséographie de votre exposition ?
R. P. : Nous avons dessiné la scénographie avec ma fille Antonine et je voulais qu’elle m’apporte des idées en plus des miennes. J’ai finalement retrouvé un peu la connexion que j’avais avec Patrice Chéreau ; nous nous envoyions des idées tout le temps, nous renvoyions la balle. La difficulté, ici, est qu’il fallait penser à ce que nous allions exposer et comment. Il fallait ainsi envisager le contenant et le contenu en même temps, ce qui est assez difficile : c’est ce que j’ai trouvé vraiment passionnant.
Au rez-de-chaussée, dessins et peintures sont accrochés aux panneaux proches des murs ; au centre, des praticables de formes et d’inclinaisons différentes accueillent mobiliers et assises. Ces derniers sont bleus, de forme carrée, losange, ovale, et se répètent en miroir depuis l’entrée jusqu’au fond de la galerie du rez-de-chaussée. Sont-ils les éléments qui vous ont permis de comprendre ce point de fuite que vous souhaitiez et donc cette perspective, titre de l’exposition ?
R. P. : C’est effectivement la formation d’une perspective, titre de l’exposition. J’avais envie de donner un souffle à ces panneaux au mur et d’y accrocher ces peintures. Je voulais qu’il y ait une connivence entre les peintures, les dessins, le design et les lampes, que cet ensemble fabrique un jeu de points, contrepoints, de rebondissements. Je souhaitais qu’ils forment un décor dans son ensemble.
Lorsque je me suis rendu au Mobilier national la première fois, la nuit tombait et plongeait peu à peu l’exposition dans une pénombre : j’ai assez vite perçu cette dimension théâtralisée de l’espace du rez-de-chaussée. Pourtant nous ne sommes pas dans une boîte noire de théâtre qui dispose d’une complexité technique bien à elle. Comment expliquez-vous cela ?
R. P. : C’est la volonté d’être comme dans une cage de scène de théâtre. Sans l’équipement technique d’un théâtre, nous sommes dans le rêve. Au théâtre, le but de la cage de scène est qu’elle soit oubliée et ainsi permettre l’évasion.
Tout en gardant l’immensité et la vue du lointain de la Galerie des Gobelins, vous avez utilisé, à l’étage, de grands panneaux inclinés, un cabinet de curiosités, une installation circulaire ouverte, et tout cela forme ce que vous avez appelé des “cabinets invisibles”.
R. P. : Cela m’amusait d’être comme à la maison, avec une sorte de cabinet de curiosités, que ce soit un peu l’ambiance d’une maison mais aussi d’une maison de rêve. J’aimais bien l’idée que les gens se sentent libres, de toucher les choses, qu’ils sentent que cela leur appartient. Nous sommes libres de nous asseoir sur certains mobiliers comme actuellement sur la banquette Pénélope.
Vous avez travaillé en maquette, en plans ; comment s’est passée la collaboration avec Simon Broggini qui signe la lumière de cette exposition ?
R. P. : Simon Broggini a magnifiquement bien compris la disposition et la répartition des espaces. Nous avons travaillé ensemble sur une façon d’éclairer les dessins et peintures, que nous puissions bien les voir, sans que les choses ne se dérangent.
Justement, nous percevons très bien le mobilier central, c’est comme s’il scintillait et s’élevait du sol. Et un peu après, certaines chaises sont vraiment suspendues depuis le plafond. Pouvez-vous nous expliquer la disposition de ces chaises ?
R. P. : J’avais envie que ce soit comme une cascade de chaises, une envolée de chaises. Une chaise est un temple ; c’est une chose, un endroit sur lequel nous nous posons, réfléchissons, rêvons, nous envolons, restons. La chaise est à la fois quelque chose de très solide, statique et en même temps quelque chose d’extrêmement volatile, puisqu’elle vous permet de rêver, de dîner, de discuter avec des amis, de réfléchir, de lire.
La mort est une notion constante dans vos écrits, l’exposition signifie-t-elle la mort d’un objet ? Vous souhaitiez une “exposition vivante, en mouvement, loin de l’immobilité d’une rétrospective figée”. Comment avez-vous fait pour que cela soit le cas alors qu’il s’agit finalement d’objets exposés dans le cadre d’un musée ?
R. P. : Cette exposition s’appelle Perspective, et non rétrospective. Si c’était le cas, ces objets seraient morts. J’insiste pour qu’on l’on dise que ce n’est pas une rétrospective parce qu’il n’y a pas tout mon travail et que je viens encore parfois installer des choses que les gens n’ont pas vu lors du vernissage. Cela m’amuse d’enlever et de remettre des dessins. Il y a encore quelques jours, j’ai mis un dessin à la place d’un autre qui me plaisait plus. J’ai prévenu le Mobilier national que je ferai cela donc personne ne me dit rien.
Votre exposition ne vise pas “à réaliser une démonstration spectaculaire mais plutôt [à] présenter un manifeste dont vous pensez qu’il convient d’exposer les œuvres”. Quels seraient les différentes modalités de ce manifeste si on l’écrivait ?
R. P. : En posant la notion de manifeste, je veux dire que c’est une façon de travailler, une façon de regarder, une façon de vivre, une façon de voir. C’est un manifeste aussi sur le fait que l’on n’économise pas son temps ; travailler jour et nuit fait partie des règles du jeu, être sur le coup tout le temps.
L’exposition Richard Peduzzi. Perspective. Mobilier, décors, dessins est au Mobilier national – Galerie des Gobelins, 42 avenue des Gobelins, 75013 Paris jusqu’au mardi 31 décembre 2024.