Son spatialisé : mieux faire ailleurs ?

Le trio de La FabSonic (Florian Chauvet, Jérôme Boudeau, Christophe Sartori) poursuit infatigablement son œuvre de prosélytisme pour promouvoir le déploiement du son spatialisé et s’affranchir du carcan de la stéréophonie dans le spectacle vivant.

Le groupe Tsar – Photo © Le Ferrailleur

Non contente de s’être dotée d’un espace de travail dédié équipé en vingt-quatre points de diffusion au sein de Trempo à Nantes et ouvert à l’accueil d’artistes en résidence, d’animer chaque mois un apéro immersif – rendez-vous dans une ambiance conviviale pour partager retour d’expériences et écoutes –, La FabSonic se lancera bientôt dans la formation. Première session avec Trempo : “Composer pour un projet sonore immersif” du 7 au 11 octobre 2024. Le Collectif a également produit sur fonds propres trois concerts de démonstration dans le club du Ferrailleur, au Hangar à Bananes à Nantes en mars dernier. Objectif : donner à entendre ce qu’une configuration de diffusion immersive peut apporter en qualité d’écoute et artistique à une programmation éclectique alternant métal, world acoustique et électro, pour certains rarement sonorisés de la sorte. La preuve par l’exemple ! Nous pourrions leur opposer qu’elle n’est plus à faire, de nombreuses salles s’étant d’ores et déjà équipées, convaincues de la valeur ajoutée de cette approche. Mais les conditions particulières de la salle du Ferrailleur méritaient sans doute d’enfoncer un clou supplémentaire.

Couverture sonore de l’ensemble du système – Document © Le Ferrailleur

S’adapter aux clubs

Ce club de petite jauge, serré sur 10 m de large dans les alvéoles du Hangar à Bananes, haut lieu de la nuit nantaise, peut accueillir jusqu’à 200 personnes debout. La configuration de sonorisation adoptée pour l’occasion s’y déploie sur treize enceintes Coda Audio dont cinq HOPS12 disposées à la face au manteau et huit HOPS8 réparties sur les parois latérales. Deux subs grave de la série SC SUB à contrôle actif, maintenus en diffusion stéréo, complètent l’installation à cour et jardin en pied de scène, n’ayant pu les accrocher à égale hauteur. La FabSonic a ici bénéficié du soutien de l’importateur du matériel d’origine allemande réputé pour son rapport puissance/compacité, mais également pour l’homogénéité de timbre sur toute la gamme grâce à un contrôle de la linéarité de phase des systèmes sans compromis ; le tout était alimenté par des amplificateurs modulaires LINUS14D (4 x 3 500 W). La console analogique Midas XL3 à demeure a été conservée en départ « direct out post fader » via un convertisseur A/D Orion 32 et une RME Digiface vers le réseau Dante. Bien que disposant de son propre système de spatialisation avec le processeur SPACE HUB, à l’instar des principaux fournisseurs de systèmes audio professionnels, Coda Audio a mis à disposition le matériel pour La FabSonic qui privilégiait ici son outil fétiche pour assurer les traitements audio avec le logiciel Flux:: SPAT Revolution. La diffusion en large bande sur les enceintes offrait une spatialisation étendue dans le bas du spectre en complément des impulsions dans l’extrême grave recentrées sur les subs disposés en stéréo de part et d’autre de la scène.

Le groupe Tsar – Photo © Le Ferrailleur

Pour les deux premiers concerts avec la formation Tsar (métal tendance fusion rock) et Samin Dong Rock (world music acoustique aux accents d’une cithare coréenne), la spatialisation s’est effectuée en mode WFS tandis que pour le duo électro-live HI FI GEN, l’algorithme de spatialisation sonore KNN (K-nearest neighbours) était préféré. Florian Chauvet s’en explique : “Nous voulions mobiliser plus de mouvements rapides sur l’électro et le panoramique KNN s’affranchit des artefacts rencontrés avec la WFS. SPAT Revolution permet de lisser les transitions entre enceintes dans ce mode en modulant le nombre de sources mobilisées et ce pour chaque objet spatialisé”. Ces deux modes s’affranchissent par ailleurs du fameux sweet spot de la stéréophonie et garantissent le maintien d’une localisation sur une aire d’auditoire élargie.

Le baptême du son

À l’issue des trois concerts, les avantages escomptés se vérifient. Sur le premier set métal : le public relevait l’homogénéité de la couverture, l’impression de puissance à des niveaux de diffusion restant bien en deçà des plafonds réglementaires en tout point de la salle avec un niveau équivalent de 90 dB(A). Affranchi d’une polarisation de l’écoute sur des sources regroupées en stéréo, les bénéfices du confort d’écoute sont à chercher du côté de la mise en cohérence visuelle et sonore, et de la sensation d’enveloppement soutenue par des graves largement répartis dans les enceintes en large bande. Pour le concert électro, les niveaux plafonneront également à 92 dB en niveau équivalent avec ce même ressenti. Autre avantage induit par l’installation, les niveaux rayonnés vers le foyer et le bar de la salle sont atténués, limitant les émergences dans l’environnement extérieur. Des questions restent ouvertes : comment susciter l’intérêt d’artistes pour l’exploration de cette spatialité sonore élargie, ces réverbérations naturelles, le positionnement des sons et leur cinématique sans qu’ils disposent à demeure d’un dispositif d’écoute fiable ou maîtrisable dans sa transposition en concert des effets recherchés ? Florian Chauvet tempère : “L’écoute binaurale statique ou trackée avec la gamme AirPods en environnement Apple, par exemple. Mais il existe aussi des kits peu coûteux pour doter n’importe quel casque d’un suivi des mouvements de tête,(1) permettant déjà d’avoir un rendu efficace des effets et de mettre en place un mix. Il faut espérer qu’un réseau de lieux comme La FabSonic se déploie dans toute la France pour offrir en complément aux artistes la possibilité de finaliser une création ainsi travaillée en amont en binaural. Avec HI FI GEN, nous sommes repartis des multipistes afin de reprendre la main sur les possibilités de spatialisation des instruments à notre convenance. Ce type de musique est généralement très mono afin de donner une énergie forte sur le dancefloor. La volonté était d’‘élargir’ le son, pas de révolutionner le style. Cela se fera avec le temps, quand les artistes composeront directement pour les formats immersifs, ce qui ne devrait plus tarder. Paradoxalement, ce n’est pas sur ce set que le public a le plus perçu les effets de spatialisation. De fait, le gros de l’énergie était centré à la face. Mon but était de faire quelque chose de flou, aérien sur les latéraux avec très peu d’éléments rythmiques. Nous sommes partis de paires stéréos issues du master, ce qui maintenait une certaine largeur dans les objets spatialisés”.

Le trio de la FabSonic – Photo © Bruno Suner

Florian constate que la gestion des flux entre les artistes et la console peut désormais se mettre relativement aisément en place avec l’essor du protocole ADM-OSC adopté progressivement par tous les systèmes d’audio spatialisation sur le marché. L’ingénieur son peut prendre la main en régie ; comme ici en direct en complément des informations envoyées depuis les outils des musiciens pour HI FI GEN sous forme de pistes d’automation supervisées par des logiciels passerelles tels qu’Usine ou Chataigne mobilisés sur ces concerts. Ce n’était pas le cas sur ces formations, mais les positions issues de la capture de mouvement en temps réel peuvent s’insérer également aisément dans ces flux. Reste à se déprendre des conventions encore prégnantes des bus stéréo et de l’emboitement des effets, en particulier sur les réverbérations.

Enceintes CODA HOPS12 accrochées au pont de face – Photo © Bruno Suner

La question de l’investissement pour basculer vers une installation similaire à celle déployée pour l’occasion est soulevée. Florian Chauvet la cantonne principalement à l’étage d’amplification et une meilleure granularité de la puissance délivrée : “C’est le coût des amplis qui pèse le plus dans la balance. Au lieu de développer une offre en 4 x 4K, il faudrait s’orienter vers des 8 ou 16 x 1K”. Un autre sujet de réflexion semble poindre dans la pratique de La FabSonic : le positionnement des enceintes pourrait être complètement repensé dans ce type de lieu de diffusion jusqu’à intégrer les musicien.ne.s dans le périmètre ceint par l’installation de diffusion, éliminant potentiellement une bonne partie des besoins de retours en bain de pied. Cela permettrait de tendre vers une plus grande fusion de l’acoustique entre artistes et public, mêlés dans un même bain sonore et un confort d’écoute accru pour chacun. Au passage, le plan de diffusion sonore pourrait être rabaissé pour une meilleure mise en cohérence avec le visuel. “Dans le cas d’auditoire assis, nous pouvons implanter une ligne d’enceintes en front fill pour compenser l’élévation de l’image sonore induite pour les premiers rangs par une ligne d’enceintes accrochées en manteau à la face. Dès lors que nous nous éloignons et que l’angle entre enceinte et source acoustique n’excède pas 30° d’élévation, la nécessité de ce rabattement ne se fait plus sentir. Le cerveau reconstitue l’image frontale.” Florian Chauvet y met un bémol : “La latence de traitement du signal de l’installation peut perturber le jeu des artistes en mode scratchs ou pour des sons percussifs”. Les 17 ms de latence relevés au Ferrailleur en réponse impulsionnelle ne semblaient toutefois pas perturber l’audition des sources acoustiques au plateau dans cette configuration de diffusion, là où un écho se serait sans doute fait sentir dans une installation plus conventionnelle. Un phénomène qui reste encore inexpliqué pour le trio de La FabSonic qui y voit là encore matière à poursuivre les expérimentations tous azimuts.

(1) Voir Supperware par exemple https://supperware.co.uk

Synoptique – Document © La FabSonic

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