Sacha Schneider

Portrait d’un directeur technique de l’entertainment

Sacha Schneider travaille pour la compagnie internationale de croisière Royal Caribbean. Il est directeur technique de l’entertainment à bord des navires de cette compagnie. Par ce portrait, il souhaite nous faire découvrir les singularités de ses fonctions.

AquaTheater, spectacle InTENse – Photo © Sacha Schneider

Parcours

Tout d’abord Sacha, avant de nous faire découvrir tes fonctions, peux-tu nous expliquer comment toi, l’Alsacien de naissance, tu es devenu directeur technique de l’entertainment pour Royal Caribbean ?

Sacha Schneider : En fait, je suis venu au monde du divertissement par pur hasard. Depuis l’adolescence, j’étais passionné par l’électronique, les gadgets, et toujours partant pour participer aux installations des fêtes des écoles. La suite logique fut d’intégrer le monde des soirées, notamment des discothèques. J’avoue qu’à ce moment-là, je ne me projetais pas dans le secteur du spectacle vivant. Puis un ami m’a proposé de venir découvrir le parc de loisirs Europa-Park situé en Allemagne, tout près de Strasbourg. Cela m’a fortement intéressé et j’ai intégré les équipes techniques en tant que technicien lumière et son ; j’y suis resté de 2000 à 2006. Suite à cette expérience, j’ai eu l’opportunité de continuer à étancher ma soif de technologie en intégrant SWWP(1) au Royaume-Uni et ainsi découvrir les évolutions techniques liées au spectacle vivant. Par la suite, j’ai saisi l’occasion de découvrir le monde de la croisière en intégrant la compagnie Royal Caribbean en 2010 en tant que régisseur lumière puis j’ai eu l’opportunité de devenir régisseur général. L’évolution de l’offre de divertissement offerte par les croisières a amené Royal Caribbean à créer le poste de directeur technique à bord des navires. Afin d’anticiper cette évolution, j’ai choisi de suivre le cursus de Direction technique de l’ISTS en Avignon. Depuis 2018, j’ai le plaisir d’occuper la fonction de directeur technique de l’entertainment pour Royal Caribbean.

Le Wonder of the Seas – Photo © Royal Caribbean

D’ailleurs, il nous semble qu’avant 2018 il n’y avait qu’un directeur technique de l’entertainment pour toute la flotte des navires Royal Caribbean. Quelle est la construction actuelle de l’équipe cadre technique entertainment ?

S. S. : Effectivement, le poste de directeur technique de l’entertainment sur chaque navire ne fut créé qu’à cette date. Pour comprendre le pourquoi, il faut saisir “l’objet croisière” en lui-même. Le travail de recherche en vue de l’écriture du mémoire pour la formation de directeur technique de l’ISTS m’a permis de m’interroger sur cet “objet” qu’est la croisière. Suite au développement du transport aérien, les navires de croisière ont dû se réinventer ; à partir de là, l’architecture des bâtiments a commencé à évoluer de façon nette. Même si avant cette mutation les navires étaient déjà équipés de piscines, de salles de spectacle et autres loisirs, “l’espace” de divertissement a pris une place de plus en plus importante à bord des navires. À partir des années 2000, la demande mondiale en termes d’offre de croisières a littéralement explosé ; le secteur du tourisme de croisière a enregistré, à cette époque-là, la plus forte croissance de l’industrie touristique mondiale, donnant lieu à une surenchère en matière de nouveautés et donc de tailles de navires entre les différentes compagnies maritimes de tourisme. Comme l’expliquent les chercheurs ayant étudié ce phénomène, “les navires de croisière sont désormais si grands qu’ils peuvent être décrits comme des paysages navals”,(2)comme des enclaves touristiques mobiles(3) ou des “géographies mobiles en elles-mêmes”.(4) L’entertainment est maintenant le cœur de l’expérience croisière ; les paquebots de croisière sont devenus pour le public “des destinations touristiques en soi, reléguant au second plan les territoires auxquels ils se sont substitués”.(5) Bien évidemment, le développement de l’offre de divertissement a été proportionnel à l’évolution de la taille des navires et la complexité technique des spectacles a suivi cette tendance.

Le théâtre du Wonder of the Seas – Photo © Royal Caribbean

Pour revenir à la place de la direction technique, il faut savoir que jusqu’en 2018 il y avait, à bord des plus grands navires, seulement des régisseurs généraux, habituellement un par salle de spectacle. Il existait bien un poste de directeur technique mais unique, basé à Miami, qui supervisait l’ensemble de la flotte de Royal Caribbean, les navires étant répartis principalement dans les Caraïbes, en Méditerranée et en Asie. De fait, celui-ci était sollicité nuit et jour à cause des différences de fuseaux horaires. Avec l’évolution de l’offre de l’entertainment, la constitution de l’équipe n’était plus adaptée aux besoins ; Royal Caribbean a décidé de nommer un directeur technique par navire, en plus des régisseurs généraux de “salle”.

Afin de mieux comprendre ce que représente l’offre de l’entertainment, peux-tu nous donner à “voir” une offre type, par exemple celle présente sur le Wonder of the Seas ?

S. S. : Nous pouvons accueillir sur le Wonder jusqu’à 6 988 passagers. En termes d’entertainment, les principaux équipements sont constitués d’un théâtre de 1 400 places, d’une salle de spectacle/patinoire de 750 places et d’un Aquatheater(6) de 900 places. Sur l’ensemble du navire, suivant les périodes, nous avons entre trois et six spectacles par jour, sans compter les multiples concerts et autres animations en intérieur comme en extérieur.

AquaTheater, avant l’entrée publique – Photo © Sacha Schneider

Grâce à ces explications, nous comprenons que pour le secteur du tourisme maritime, l’entertainment est un enjeu crucial. Quelle est la place effective du divertissement à bord des navires de la flotte ?

S. S. : Pour Royal Caribbean, l’entertainment est clairement le poste le plus important en termes d’attractivité. Pour simple exemple, même après la crise du Covid qui a grandement impacté notre secteur d’activité, le budget consacré à ce poste a été maintenu à son niveau habituel. La Compagnie a pour ambition d’être le leader mondial concernant l’offre de divertissement dans l’industrie des croisières et cela malgré l’émergence de nouveaux acteurs tels que Disney Cruise.

Lors d’une précédente rencontre, tu nous as indiqué que Royal Caribbean concevait en interne les spectacles. Peux-tu nous expliquer le processus de production de l’offre à bord des navires Royal Caribbean ?

S. S. : Tout d’abord, il faut savoir que chaque navire a sa propre programmation, celle-ci lui étant spécifique. Ceci s’explique par plusieurs raisons : la première est que les croisiéristes font souvent plusieurs séjours sur des bâtiments différents, d’où leur politique d’offrir aux visiteurs des spectacles différents à chaque fois ; la seconde est d’adapter l’offre d’entertainment au trajet de la croisière et à l’origine géographique de sa clientèle. Concernant le processus de création, il se rapproche clairement de celui des spectacles que l’on trouve à Broadway ou Las Vegas. Notre équipe de l’entertainment s’occupe de créer et de répéter les spectacles dans nos studios à Miami ; ils sont par la suite finalisés à bord du navire dans la salle dédiée à ce spectacle.

AquaTheater, spectacle InTENse – Photo © Sacha Schneider

Qu’en est-il de l’exploitation ? Existe-t-il des différences par rapport au secteur du spectacle vivant en France ?

S. S. : Concernant l’exploitation des spectacles, nous sommes là aussi plus proche d’un modèle anglo-saxon, nous nous devons d’être vigilants quant au maintien de la qualité de ceux-ci durant leur exploitation. Cette attention est motivée par le fait que sur une année d’exploitation, nous avons une rotation de trois équipes d’artistes et de quatre équipes techniques. Tout en veillant au respect de la création, cela nous demande, bien évidemment, d’organiser des temps de “tuilage” pour les répétitions/transmissions entre les équipes artistiques et techniques arrivant à bord et celles en fin de contrat.

 Les particularités du poste

– Les aspects techniques

Nous imaginons qu’il existe bien d’autres spécificités, notamment liées à exploitation des salles de spectacle sur un paquebot. Peux-tu nous donner quelques exemples ?

S. S. : Effectivement, le fait de gérer des salles de spectacle sur un navire entraîne des spécificités. Tout d’abord, nous sommes en mouvement, nous n’avons donc pas de charges statiques ; dans ces circonstances, tous nos systèmes de levage de charge comme de personnes(7) doivent être dimensionnés en fonction des forces dynamiques dues aux mouvements du bâtiment. Un des autres facteurs est celui des vibrations : même si elles ne sont pas perceptibles par le public, elles sont permanentes, ce qui fait que tous nos systèmes sont mis à rude épreuve et présentent un vieillissement plus rapide que sur la terre ferme. Le navire devant fabriquer sa propre électricité, la qualité du courant est dégradée. Cela entraîne là aussi certains soucis, notamment sur le matériel technologiquement le plus pointu. Enfin, notre rythme d’exploitation est soutenu : compte tenu qu’il y a dans chaque salle de spectacle a minima un show quotidien, nous avons une utilisation intensive de tous nos systèmes. Afin d’anticiper tous ces facteurs en exploitation, outre le choix du matériel et la conception de nos systèmes, nous utilisons une base de données extrêmement précise pour planifier des vérifications périodiques très régulières de tous nos équipements. Cela nous permet aussi de tenir compte des itinéraires de croisière afin d’éviter des soucis de livraison en cas de remplacement de matériel. Afin de garantir la continuité de l’exploitation, nous capitalisons sur les retours d’expériences des utilisateurs, ce qui nous permet de projeter au mieux le planning de maintenance, le stock des pièces de rechange à bord, la formation des équipes techniques spectacles à la résolution des pannes les plus courantes et la maintenance des différents systèmes, …

Studio B – Photo © Sacha Schneider

Gestion des ressources humaines

À tes yeux, quelles sont les particularités en termes de gestion humaine des équipes techniques ?

Sacha Schneider devant Utopia of the Seas dans sa forme d’assemblage, Chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire – Photo © Sacha Schneider

S. S. : Une des toutes premières est le fait que l’équipage(8) est constitué d’environ cinquante nationalités différentes. Pour l’équipe technique, nous n’avons “que” vingt nationalités. En tant que cadre, je me dois de tenir compte des différences culturelles de mes équipes. C’est pour cela que depuis 2011, je suis très régulièrement des formations, entre autres en management et en leadership; je participe à peu près à une formation par période en mer. D’ailleurs, être en mer et dans un environnement de travail particulier nous invite à accorder beaucoup de valeur au fait que nos collaborateurs et nous-mêmes devons posséder des compétences en termes de savoir-être et savoir-vivre ensemble, mais aussi en capacité d’adaptation car nous sommes amenés à changer régulièrement de navire. La deuxième vient de notre statut de gens de mer : en moyenne les équipiers passent six mois à bord et deux mois à terre. Pour garantir le maintien de l’activité, les rotations de personnel sont en décalé, ce qui permet un suivi individuel lors des temps de tuilage au moment des prises de postes. Concernant les artistes, nous travaillons avec toutes les formes d’arts ou presque : natation synchronisée, plongeon, patinage, acrobatie, comédie, chant, danse, musique, magie, … Nous nous devons de connaître les singularités et les contraintes de toutes ces formes artistiques ce qui fait, par exemple, que pour le spectacle aquatique, j’ai une équipe technique de plongeurs qui assure la sécurité des artistes sous l’eau, notamment par la gestion des tops de circulation entre les coursives immergées et les mouvements des planchers aquatiques.

AquaTheater, l’équipe de plongeurs en session de formation – Photo © Sacha Schneider

Merci Sacha pour ces échanges. Ce serait très intéressant de pouvoir faire profiter les lecteurs de la Revue AS d’une visite technique des différents espaces de représentation.

S. S. : Je serais ravi de pouvoir continuer à faire découvrir les spécificités techniques de l’entertainment d’un bâtiment de la flotte Royal Caribbean.

À suivre…

(1).  Stageworks Worldwilde Productions : société de production de spectacle sur glace qui existe depuis 1936

(2).  David Cashman, Central Queensland University, Corporately Imposed Music Cultures: An Ethnography of Cruise Ship Showbands, Ethnomusicology Review Vol. 19, Fall 2014

(3).  Kwortnik, Robert J. 2008. Shipscape Influence on the Leisure Cruise Experience in International Journal of Culture, Tourism, and Hospitality Research 2(4): 289-311

(4).  Weaver, Adam. 2005. Spaces of Containment and Revenue Capture: ‘Super-Sized’ Cruise Ships as Mobile Tourism Enclaves in Tourism Geographies 7(2):165- 184

(5).  Logossah, K. (2007). L’industrie de la croisière dans la Caraïbe : facteur de développement ou pâle reflet de la globalisation ?, Teoros, 26 (1): 25-33

(6).  Un amphithéâtre aquatique extérieur

(7).  Deux des salles de spectacle du Wonder of the Seas sont équipées de vol humain en 3D

(8).  Environ 2 300 membres d’équipage à bord du Wonder of the Seas

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