Entretien avec Michel Zurcher

Artisan développeur de logiciel de régie et de système de diffusion

Cet entretien a été réalisé par Félix Philippe et retranscrit par Loïc Leroux
Article paru sur le site silencesplateaux.fr le 9 novembre 2022

“On était un peu des sales gamins à toujours détourner les outils. Avec l’impression d’être fracasseurs d’esthétiques ou iconoclastes.”
Michel Zurcher

Depuis l’arrivée de l’informatique au théâtre, les pratiques de création et de régie ont considérablement changé. De nouvelles habitudes de travail se sont mises en place grâce à l’émergence de nouveaux outils et à leur détournement. Beaucoup de professionnel.le.s font, dès les années 90’, le constat que ces outils sont parfois inadaptés aux contraintes de la création pour le théâtre et qu’il faut trop souvent en contourner les limites. Quelques-uns choisissent alors de créer leur propres logiciels, répondant à leurs questionnements sur leur pratique du son. Pour Silences Plateaux, quatre de ces développeurs indépendants ont accepté de raconter le chemin et les réflexions qui les ont menés à concevoir ces outils de création et de régie singuliers. Dominique Erhet et son Séquenceur d’Histoires, Olivier Sens avec Usine, Michel Zurcher pour RoseB et Francois Weber pour Axoa.

En posant l’idée que la créativité se développe en dehors des normes ou des standards, ces logiciels questionnent nos usages et nos outils d’aujourd’hui, au moment où de nouveaux standards technologiques font leur apparition (notamment sur la spatialisation).

Michel-Zürcher©DR

Michel-Zürcher – Photo ©DR

Michel Zurcher : Je suis Suisse du Canton de Vaud, donc la francophonie. J’ai fait dix ans de latin/grec avec passion. Je me suis retrouvé à faire une première pièce de théâtre à vingt ans. C’était une révélation pour moi. Puis les petits boulots, électricien de plateau pour de l’opéra, du spectacle, du cirque, … À 28 ans j’ai passé quatre ans à Genève, aux Beaux-Arts en me disant “je vais prendre le temps, je vais me donner les outils pour faire de la création”. À 16 ans, j’avais commencé à faire des haut-parleurs dans ma chambre pour avoir une chaîne stéréo. Et en fait, j’ai toujours fabriqué des haut-parleurs. L’outil m’a toujours questionné. J’ai même essayé d’en vendre mais j’étais incapable de faire de la série, je n’ai fait que des prototypes. Donc je me suis dit “je vais à la source du son : vers le live”.

Qu’est-ce qui, dans ta pratique et dans les outils déjà existants, t’a manqué au point d’entreprendre le développement de ton propre logiciel ?

Michel Zurcher : Ce qui m’a manqué ? C’est une chose que j’ai déjà déclaré aux JTSE (Journées techniques du spectacle et de l’événement). L’historique c’est que j’avais des consoles qui n’avaient que 12, 18 ou 24 entrées et 8 sorties, et moi je voulais 2 entrées et 32 sorties. La logique du matériel que nous avions, c’était toujours un goulet, un entonnoir qui visait à faire de la stéréo. Moi je détournais les sous-groupes pour en faire des sorties alors que c’était juste pour faire un prémix d’une batterie. C’était cette logique-là qui prévalait dans les outils que l’industrie nous donnait. Nous étions un peu des sales gamins à toujours détourner les outils. Avec l’impression d’être fracasseurs d’esthétiques ou iconoclastes.

C’est vouloir dépasser la stéréo qui t’a amené à cela ?

M. Z. : Oui, amener une complexité qui ouvre sur un multi-sources. Je suis arrivé à un moment où, quand il y avait plus de deux baffles sur un plateau, c’était déjà trop compliqué.

Quand as-tu commencé ?

M. Z. : J’ai décidé de ne faire que du son et seulement pour le théâtre, au début des années 90’. Du son j’en faisais déjà avant. J’ai commencé à faire des haut-parleurs à 16 ans et à enregistrer, puis à faire du son et de la lumière au théâtre.

La décision était que plutôt que de faire du son au cinéma, je reste au théâtre. Pour une raison simple, c’est que même si nous n’avions ni le matériel ni les moyens, nous avions du temps sur le plateau avec les comédiens, avec ceux qui disent les mots. Les mots, c’est le premier bruit, ma matière première. C’est le son d’origine. Après nous les accompagnons.

Sortir de la stéréo, étaot-ce pour toi un moyen d’arriver “à égalité” avec les mots ? D’avoir quelque chose de plus “complet” ?

M. Z. : Là je parle de “vu de maintenant”. Peut-être qu’il y a des concepts qui étaient déjà prégnants mais moins théorisés. Pour moi, une parole existe à partir du moment où elle est dans un espace. Par exemple, aux comédien.ne.s, nous leur disons : “d’où ça parle ?”, “d’où parles-tu ?”. J’ai l’impression qu’un.e comédien.ne, une fois qu’il.elle a trouvé l’espace imaginaire d’où il.elle parle, la voix se trouve. Nous sommes un peu dans ce rapport-là. Le fait de pouvoir garder une reverb, cela a permis de faire péter les murs du théâtre et de songer l’espace d’où partait la parole. En accompagnant un.e comédien.ne, en lui fournissant de la reverb pendant deux, trois semaines (le temps que lui.elle, il.elle trouve). S’il.elle peut travailler avec cet espace-là, tu lui donnes un autre décor ou un autre costume vocal. Ce qui m’intéressait c’était d’accompagner, d’habiller, de proposer un espace d’où sortait une parole. C’était aussi être en contre-point, contredire, être avec, sans, …

Tu étais bloqué avec deux enceintes. Le résultat n’était pas à la hauteur de ce que tu cherchais ?

M. Z. : Pour certains comédien.nes, tu leur mettais une reverb et tout à coup cela faisait décoller le plateau ! Nous en arrivions à des logiques où pour trouver le rôle des espaces, nous mettions beaucoup de son en répétition. Mais à l’arrivée il ne restait peut-être presque rien. En revanche, c’était un outil de plus pour trouver des états de plateau, des états de comédien, questionner, essayer. C’est cette dynamique-là qui me passionnait. Et il y avait une vraie demande. C’était un peu une époque où le théâtre très opératique n’avait plus trop de sous. Des fois nous avons fait un peu Nouvelle Vague, en arrivant avec trois outils, et puis ça le faisait, même dans une grande salle. Quelque part, cela valait la peine de filer des sous à un gars du son, cela économisait du décor. Tu pétais les murs avec trois coups de reverb, pour parler un peu direct. C’était passionnant et partagé, ce n’était pas un délire dans mon coin.

Comment as-tu réfléchi à l’interface, à l’ergonomie de ton logiciel ?

M. Z. : Tu ne réfléchis pas, tu es dans le pétrin parce que tu as plein de paramètres et juste une souris, et puis tu as autre chose à faire. L’outil, il s’est fait… à la brutale des fois.

Quand as-tu créé RoseB ? Quels sont les paramètres que tu voulais rendre accessibles en priorité ?

M. Z. : Je fais un petit historique de RoseB. Je découvre Max, je comprends le MIDI grâce à Max. Ensuite vient MSP et il est possible de faire du son. Donc j’achète un G3, une carte 24/08. Au début, cela m’a surtout servi à créer des sons. Ensuite je transférais sur MiniDisk. L’exploitation se faisait en MD, que j’ai trouvé formidable de versatilité : des boucles qui ne faisaient pas de click, la possibilité de préarranger des plages, l’auto-pause, … Il y avait plein d’avantages. Ensuite, c’est un gag ! J’ai fait un patch avec des gros boutons, un gros volume et un menu avec des fichiers dedans pour un assistant qui n’y connaissait rien, pour qu’il puisse mettre des musiques pour que les comédien.ne.s s’échauffent et qu’il ait ça quand je n’étais pas là. Puis je me suis rendu compte que je pouvais lier un départ de fichier et un volume sur un click. Puis j’ai pu mettre deux lecteurs, puis trois, puis quatre, puis j’ai fait des entrées audio et surtout je pouvais faire du routing automatisé sur dix sorties. Je me suis rendu compte que les plus gros boutons, les plus visuels, sont ceux que tu utilises quand tu dois jouer. Ce n’est pas les petits trucs que nous ne voyons pas. Après, comment tu fédères des paramètres sous un rappel ? Là je suis rentré en guerre avec les consoles digitales qui sont très compliquées pour mettre quelque chose en recall safe. C’est ce genre d’ergonomie qui m’a poussé à faire un quelque chose où il y a un numéro de pas qui est envoyé, avec plein d’objets et leur playlist.

Interface-de-RoseB

Interface de RoseB

L’idée était de t’affranchir un peu des consoles, de ne pas faire trop de choses dedans et de pouvoir automatiser tes paramètres comme tu le souhaitais dans l’ordinateur ?

M. Z. : Oui, et ça, ça vient du théâtre. Un plateau a son temps de pensée, n’est pas libre ni du texte ni de plein de choses. Par contre, le débit et les micro temps, c’est ce qui lui appartient et moi je voulais respecter cela. Au début nous avions Pro Tools, mais une fois que tu as lié les choses, tu ne peux plus les arrêter.

En termes de séquentiel, si tu veux lancer des cues, est-ce compliqué de le faire de façon satisfaisante ?

M. Z. : C’est compliqué parce que ce sont des logiques de timeline faites pour la musique. Il s’agit de mettre les choses ensemble et de les asservir à un temps. C’est la rigueur de l’affaire. Alors que moi je veux dissocier ; dissocier les sources, ce qui rentre dedans, ce que j’envoie et où c’est diffusé.

Quand que tu as commencé, il y avait déjà des cues ? C’était déjà un logiciel de théâtre, sans timeline ?

M. Z. : Ce qui était drôle c’est qu’instinctivement j’ai mis plusieurs lecteurs stéréo plutôt qu’un lecteur multipistes où les différents matériaux sont liés dans le temps. À partir de ce moment-là, si j’ai quatre fichiers, je fais quatre pas. Et puis s’ils doivent être enchaînés trop vite ou s’il faut qu’ils soient synchros et bien… c’est de l’intervention manuelle, à l’écoute du plateau, qui respire avec les comédien.ne.s. Le truc précieux, c’est du micro-poil, c’est du swing.

RoseB a-t-il changé la manière dont tu crées du son ?

M. Z. : Oui, évidemment. Pour la blague, j’ai envie de dire que grâce à RoseB, j’avais le temps de manger avant la première. Avant, j’avais une pile de notes, un état de console à rattraper, … Ce qui était intéressant avec Max et qui rendait perplexe, c’est que tu ne pouvais plus être un sale gamin parce que tu as une page blanche et il te dit “qu’est-ce que tu veux ?”. Tout à coup tu dois devenir adulte, te demander : “de quoi ai-je envie ?”.

À l’époque, même sur les Revox, faire un play, c’était un Go. J’avais l’habitude de ne pas avoir beaucoup de lecteurs, parce que nous n’avons pas beaucoup de Revox. Je pensais un peu comme au cinéma, il y a deux pistes que tu mélanges pour les voix, il y a deux pistes pour les ambiances ou les musiques et deux pistes pour les effets particuliers. Je pensais ainsi. La question s’est posée : est-ce que je fais un outil ou est-ce que je fais un instrument ? Si je fais un outil, il n’amène pas de couleur. La particularité vient de l’exécutant. Celui qui tient le marteau, il décide de taper ou non sur le clou ou à côté. La frontière était floue. Diffusez un son différemment et il change de valeur. Qu’il soit fort ou pas, ce n’est plus le même son. Et suivant comment il est diffusé dans l’espace, ce n’est plus le même son non plus. Il n’a plus le même poids grammatical, dramaturgique. Cela m’a donné une vitesse et une liberté pour penser cela.

RoseB, tu le penses comme outil, comme un instrument ou les deux ?

M. Z. : C’est un outil dans la mesure où c’est toi qui décides quelle partie du fichier tu veux lire, comment tu l’envoies. Il y a des tirettes pour les envois sur les sorties, des tirettes pour mettre le delay, et puis j’ai fait un petit séquentiel à 12 pas de routing. Au départ c’était pour faire bouger un son. En répétition, au début, tu mets un vent parce que tu ne sais pas quoi mettre d’autre. Tu le fais bouger au plateau et tu es content si tu n’as pas tout le temps besoin de le faire bouger à la main. Cela pose la question de : “quand je fais un Go, quel genre de process je lance, comment il vit sa vie et comment je le cadre”.

Tu as démultiplié les possibilités qu’il y avait à l’époque mais cela fait une somme de choix à chaque enregistrement de cue…

M. Z. : Je sais qu’à une première, je n’ai jamais tout testé, je n’ai jamais affiné tout ce qui a été proposé. J’ai l’impression que je suis un peu tombé dans l’audiophilie… Moi je me soigne au théâtre parce qu’il y a un moment où on me dit “tu arrêtes maintenant !”. C’est un peu ma pathologie, de toujours essayer un autre truc.

À qui, selon toi, est destiné ce logiciel ? Est-il destiné à quelqu’un ou juste à toi ?

M. Z. : Il m’est d’abord destiné (rires). C’est important de dire qu’il n’y a jamais eu aucun enjeu financier de ma part, aucune ambition de convaincre. Le business model est qu’il a été créé sur le dos des compagnies qui le supportaient en répétitions. Ils héritaient de ce que d’autres compagnies avaient supporté. Parce c’est pendant les répétitions que nous débuguons. Ce qui m’intéresse c’est qu’en exploitation, je ne pense plus à comment il est construit et que j’ai du plaisir à en jouer. L’enjeu’est d’avoir du plaisir au jeu. C’est l’aboutissement.

D’autres personnes que toi l’utilisent-ils ?

M. Z. : Je n’en sais rien ! J’ai des amis qui ont essayé mais ils se sont vite perdus et sont retournés chez Live ou ailleurs. Après je sais qu’il est connu parce que cela fait vingt ans qu’il y a des régisseur.se.s qui partent avec. Mais je vois bien l’obsolescence… Pour moi il marche. Je le charge, je le mets dans un ordi et il fonctionne. Maintenant, avec le M1, avec Gen, nous pourrions le faire trotter beaucoup plus vite, mais il marche.

Je n’essaye pas de faire du Pyramix, du 192Khz, … Les demandes technologiques au théâtre ne sont pas si élevées. Cela supportait très bien le MD. C’est vrai que si tu mets une symphonie dans un MD, à l’arrivée, ça tousse un peu. Les violons, ils jouent un peu la machine à écrire. Mais pour mettre un violon très loin, si c’est le son juste et que le.la comédien.ne en fait quelque chose, c’est parfait.

C’est un logiciel que tu laisses à tes régisseur.se.s pour qu’ils tournent avec ?

M. Z. : Oui, je leur laisse et ils tournent. Dans un théâtre, quand on me dit “tu fais sur Live”, je dis “ben salut !”. Je pars. Je la joue un peu brutal… Live je l’ai, je rentre dedans, j’ai essayé de mettre de l’Amx, du Gen, du multipiste comme j’aime. Je n’ai pas retrouvé d’outil aussi versatile que le mien.

Lorsqu’on développe un tel outil, comment fait-on pour se détacher de sa propre pratique ? As-tu consulté d’autres créateur.rice.s pour ça ?

M. Z. : Nous nous sommes très vite croisés avec Dominique Ehret et François Weber. C’est les deux que je vois qui sont un peu proches de moi. Nous étions avec ces ordis, à se demander : “Qu’est-ce qu’on en fait ?”.  Nous nous disions : “Ah, lui, il est arrivé à faire ça, donc on peut y arriver là”. Au début, nous ne savions pas ce que la machine allait pouvoir faire. Ce qui était plaisant, c’était l’idée de pionnier. Il y a un truc amusant dans ce sens-là, et de passionnant.

Il fallait défricher toutes les ressources que tu pouvais avoir ? Les gens avec qui tu pouvais en parler, c’était bon à prendre ?

M. Z. : Oui. Souvent on dit que les programmeurs c’est comme un couple. Il y a celui qui dit : “Ah, t’as vu, il y a 3 600 couleurs pour faire des sous-titres incrustés !” et puis il y a celui qui dit : “Oui, mais il n’y en a que trois qu’on arrive à lire !”. Il y en a un qui est fasciné par les 0 et les 1 et l’autre qui est l’usager. Moi je pourrais passer de l’un à l’autre.

Parce que tu es aussi utilisateur ?

M. Z. : Pour moi c’est très sensible quand je change de casquette. Quand je suis en jeu, j’ai envie que ça marche. Je ne me pose plus la question.

Pour reparler de business model, c’est en tournée, quand j’avais des journées à l’hôtel, que je programmais ou alors pendant les temps de chômage. Et en répétitions, s’il y a trois outils que tu as envie d’intégrer, tu les essayes, tu débugges puis tu ne bouges plus les derniers jours pour être sûr que cela marche bien en exploitation. Pour le dire autrement, les propriétaires c’est les compagnies, le chômage et ma pomme. C’est une idée de pratiquer un métier et de jouer la carte de l’artisan d’art qui travaille ses outils. Mais les casquettes mentales entre “je suis régisseur” et “je suis créateur” sont vraiment deux casquettes différentes.

C’est bien de pouvoir avoir ces deux visions-là ?

M. Z. : C’est ma façon mais il existe tellement de façons de faire du son, il y a tellement de métiers différents. C’est vrai que dans la programmation, quand tu arrives à trouver une solution un peu élégante, c’est un grand bonheur. Il y a un plaisir, une jouissance merveilleuse !

Y a-t-il une histoire de vérité dans la technique ? Au plateau, il y a des endroits tu sens que ça marche mais que ça pourrait aussi être autrement. Alors que quand tu arrives à programmer un truc, ça marche ou non.

M. Z. : Moi, je suis un littéraire, j’ai fait du grec ancien et pour moi, les mots ont toujours quatre sens différents. Tu prends un vers de Racine, il y a toujours une épaisseur.

Je n’ai jamais réussi à faire une ligne de code. Par contre, avec le Lego de Max, je me sens machiniste qui organise un tirage. Ce sont des relations, des boucles de régulation, des relations de cause à effet, des fils, c’est visuel.

Comment envisages-tu la part de formation nécessaire à l’utilisation de ton logiciel ?

M. Z. : Je dois être là. Après, en exploitation, tu arrives, tu allumes les choses dans l’ordre, tu démarres, tu testes, tu joues et puis tu vas boire des verres. Il y a peut-être une personne, Yoann Gabillard, qui a été le régisseur qui a tourné un grand nombre de spectacles du TNB de Rennes. Lui, je lui fais confiance en édition, en modifs, en adaptation. Parce qu’il a fait des tournées lourdes.

Sinon, moi, je laisse quelque chose en état et le régisseur fait.

Quand tu arrives dans une nouvelle salle, tu ne fais pas juste le Go, tu cales, … Il y a quand même des modifications à faire, non ?

M. Z. : Moi, j’ai fait une émulation totale d’une Mackie Control, c’est-à-dire que l’ordi te prépare les états, l’intendance, et ensuite il faut en jouer. Un régisseur, j’attends qu’il me surprenne et me montre des trucs dont je ne me doutais pas. Pour moi c’est vraiment un interprète.

Ce sont des régies qui restent assez manuelles ?

M. Z. : Ah oui, avec moi c’est les doigts sur les tirettes de toute façon ! Sinon, je m’ennuie et je m’endors. Je ne suis plus là et je rate des Go.

L’outil en lui-même est pensé pour te faire l’intendance. Le gros débat c’est : quel est le critère dont j’ai besoin ? Je n’ai que dix doigts. Quel critère pertinent je garde sous les doigts ?

Tu fais un choix sur quel paramètre tu vas jouer, à quel moment ? Tu choisis quelle liberté tu te laisses pendant le spectacle ?

M. Z. : Oui, voilà. Par exemple, les tempos en fade in souvent c’est l’informatique qui les faits. Dans un fichier, le temps de montée est lié au départ du fichier. Par contre, un fade out, j’ai toujours un pas de sauvegarde qui peut le faire mais ça se fait à la main. Suivant où tu interviens dans le tempo, le même fade out sera complètement brinquebalant, alors qu’une fraction de seconde avant il était lisse. Il faut la main pour l’interpréter, l’accompagner au moment où le plateau décide que le fade out doit être fait.

Y a-t-il des endroits où il vaut mieux laisser faire la machine et des endroits où il vaut mieux faire soi-même ?

M. Z. : C’est un peu ça que l’automatisme posait comme question, se libérer de l’intendance.

As-tu intégré l’imprévisibilité du spectacle vivant dans ton logiciel ? Ce dont tu parlais sur les micro temps par exemple. Si oui, comment ?

M. Z. : L’accident quoi… Pour se sauver… Premier réflexe pour se sauver, si tu as des micros ouverts qu’il ne faudrait pas, soit tu as un pas qui les coupe soit tu sautes sur les tirettes et tu le descends. Sinon, j’adore créer des boucles qui ne sont pas rythmiques. Ce qui fait que les occurrences sont imprévisibles. Et puis les lancer de façon bizarre. Ce qui fait que, sous les tirettes, je suis surpris aussi.

Tu te crées ta propre imprévisibilité ?

M. Z. : Oui, je l’organise. Le fait que “oups, il y’a un truc qui arrive” c’est ce qui est intéressant. Les comédien.ne.s, si tu leur fait découvrir ça d’un coup et qu’ils.elles doivent le gérer, ils.elles ne sont pas content.e.s. Par contre, si tu as pu répéter, qu’ils.elles ont connu le modus vivendi, qu’ils.elles savent que si, dans ta bande, il y a un pet qui passe mais que tu es là et que tu joues avec, ils.elles écoutent ce que tu fais. Il faut qu’ils.elles sentent que tu les accompagnes, les soutiens, … Et puis, il y a des moments où il faut aller contre. Il y a des fois où il y a des appuis de jeu où il faut qu’il y ait un son fort pour que le jeu puisse aller ailleurs. C’est tout le passionnant de l’affaire, ça se fait avec les gens au plateau. Et c’est du temps ; du temps de répétitions : avoir travaillé plusieurs fois avec des comédien.ne.s. Quand on se connaît, cela facilite énormément les choses. Ils.elles savent qu’en répétitions, si tu les envahis, ce n’est pas que tu veux les faire taire.

3-Enceinte-5-voies-inventée-et-réalisée-par-Michel-Zurcher

Enceinte 5 voies inventée et réalisée par Michel Zurcher

Si c’était à refaire, le referais-tu ?

M. Z. : Oui mais avec les outils de l’époque. Moi je voulais améliorer ce que je faisais, le plaisir que j’avais à le faire. Je voulais faire mon boulot d’artisan qui questionne les outils, l’art. Une journée où je ne vais pas inventer quelque chose est une journée perdue. Mais cela peut se passer entre un boulon et un écrou. C’est ainsi que j’envahis ce métier.

Le son c’est tous les jours, tout le temps, toute la vie, et même avant que tu sois né. Le son au théâtre c’est une partie du son dans la vie. Cela ne s’arrête pas. Ce sont des occurrences. J’étais étonné de pouvoir en vivre pendant 35 ans. Et des fois de me lever et de me dire “oh c’est génial ! Qu’est-ce que ça fait ci et puis…”. Et en plus tu reçois des sous ! Après, je ne suis pas devenu riche…

Un business model à revoir peut-être ?

M. Z. : Ce serait une question pour vous parce que moi je ne vais pas le remettre en question. Un jour je reçois un mail : “Votre programme est formidable mais il faudrait un mode d’emploi et donner les patchs commentés pour que nous puissions les montrer aux étudiant.e.s”.» Cela frisait l’injure ! Je ne vais pas faire ton boulot ! S’il veut faire un mode d’emploi, il prend le temps. Là, je lui filerai des patchs. Mais faire le boulot du prof pour que tu puisses visiter mon logiciel… J’ai un outil qui marche et puis basta. Je le mets sur Internet pour qui n’en veut. Mais surtout, si ma machine pète, j’ai ma conduite en fichier texte, une sauvegarde, je peux aller le rechercher sur Internet. C’était ça le business model. Après je laisse le lien, il est accessible. Si quelqu’un y va et qu’il a des questions, il est le bienvenu.

Tu n’es pas le support technique ?

M. Z. : Ah non ! Et si je demandais 3 Francs, je passerais ma vie au téléphone. Il y a des gens qui ont arrêté des logiciels parce que c’était trop coûteux en service après-vente. Et dans 80 % des cas, c’est pour des gens qui ne savent pas mettre leur ordi au point. Je ne voulais pas rentrer là-dedans.

Peux-tu nous dire trois mots sur RoseB ?

M. Z. : C’est un standalone, une appli indépendante basée sur Max, construit uniquement avec des objets Max, il n’y a pas de tierce partie. Il roule de la façon la plus fiable possible et transmissible dans le temps. Ça ressemblerait un peu à Live dans l’idée d’arrêt d’objets qui répondent, ou non, à un numéro d’ordre qu’on leur envoie. L’idée est un step by step qui envoie un numéro. S’il y a une mémoire dans la playlist de chaque objet (un lecteur de fichier, une entrée, un niveau d’entrée, un routing, …). Moi, je suis passionné par les delays. Donc j’ai beaucoup travaillé leur gestion pour avoir, à chaque pas, des delays différents sur chaque sortie, sur chaque envoi d’un son dans un haut-parleur particulier. Pour placer un son dans l’espace, autant en delay qu’en volume. C’est le critère qui m’a tenu. C’est la particularité qui fait que je ne peux pas rouler avec Live. Il y a une complexité que Live ne me propose pas. Il est valable, updaté au niveau de la programmation et, comme outil, il fonctionne. Il y a dix slots d’entrées qui peuvent chacun être routé dans dix sorties. Il y a des bus internes permettant de faire du rerouting à l’interne. Il y a quatre lecteurs de fichiers. Il est possible d’éditer à la volée les points d’entrée et de sortie, des loops, des fade in et fade out.

La complexité, c’est vraiment la spatialisation. La motivation d’avoir passé du temps là-dessus c’est d’amener une stéréo, de la déplier, de faire que le mix des sons se fasse dans l’air, au plateau. Un théâtre est une sorte de tambour qu’on accorde, un gros tambour qu’on fait sonner, sauf qu’on est dedans. Il y a l’idée d’avoir les clés pour régler l’instrument de la salle. Ma passion, ce n’est pas tant de signer des musiques ou des bandes son, c’est vraiment la diffusion, la multidiffusion. C’est un rapport à l’espace. Le fait de mettre des delays, c’est comme s’il y avait un delay particulier à chaque envoi d’Aux dans une CL ou une QL. J’en ai parlé avec Yamaha aux JTSE mais il y en a un qui m’a répondu que c’était trop compliqué pour les ingénieurs du son. Et là je me dit : “oups, je pleure, je lui mets la tête dans le seau, je lui passe dans la fontaine”. Pour moi c’est basique.

Après, nous pouvons aller plus loin. Grace à Gen, j’ai fait des micros Doppler, des pan pots, je peux faire des delays au sample… Il y a tout un univers qui s’ouvre de finesses. Des vrais outils qui peuvent amener une dramaturgie.

Merci beaucoup !

M. Z. : J’étais content de répondre à tes questions parce que ce qui m’importe c’est comment je peux être utile pour… Je suis jaloux des jeunes parce qu’il y a tellement à faire ! (rires) Moi j’ai pris le temps de faire quelques plantés donc si je peux donner deux/trois raccourcis je suis content. C’est surtout pour partager le plaisir de ce métier.

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