Un design circulaire et participatif
Le Pôle Éco Design défend et met en œuvre depuis plus de dix ans un design attentif aux cycles de vie et l’intégration des usagers dans la conception des objets qu’il crée et des espaces qu’il aménage. Cette agence, menée par le designer Yannick Le Guiner, a rencontré la Culture à plusieurs reprises, notamment en accompagnant le Festival d’Art lyrique d’Aix-en-Provence dans sa démarche pionnière d’écoconception de décors d’opéra.
Faire ensemble et prendre en considération les impacts environnementaux d’une réalisation durant chacune des étapes de sa conception, tels sont les deux piliers du Pôle Éco Design. Cette agence de design basée à Gardanne, près de Marseille, a été créée en 2009 par Yannick Le Guiner. Designer industriel de formation, ce dernier a acquis une solide expérience dans le domaine de la conduite de projets participatifs, en encadrant des projets d’aménagements urbains avec des détenus, dans le nord de la France, dans les années 2000. “Je voulais que le design puisse être un support d’insertion. J’ai travaillé durant quatre ans avec dix détenus qui se formaient à la métallerie en créant des pièces de mobilier urbain installées dans un square de Tourcoing. Tout cela se faisait aussi en concertation avec les futurs usagers.” Puis, à la suite d’une formation consacrée à l’écoconception, portée fin 2006 par l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), le professionnel est sensibilisé à la notion de “cycle de vie”. Il ajoute alors à son arc la “responsabilité environnementale” aux côtés d’une corde “responsabilité sociale” déjà bien robuste.
Faire avec les futurs usagers
Une approche du design que Yannick Le Guiner partage avec ses collaborateurs, Romain Tondre et Maroussia Leroy. Le Pôle Éco Design se définit comme “une agence de design responsable”. Aménagement d’espaces avec réalisation de petites constructions (serre bioclimatique, chambre d’hôtel modulaire, aménagement d’un jardin ou d’un espace public, …), design d’objets (composteur, mobilier urbain, …) ou de service (animation d’ateliers, …). La structure intervient à différents niveaux, parfois aux frontières de l’architecture et de l’urbanisme. “Tout est question d’échelle. On dit souvent que le designer est l’architecte des objets. Ce qui nous distingue de l’architecture est que nous travaillons surtout à l’échelle du corps. Cependant, nous réalisons parfois des projets de micro-architecture”, précise Yannick Le Guiner. “Aussi, notre particularité s’exprime notamment dans notre volonté de nous mettre à la place des futurs usagers. Nous travaillons avec eux, dans le cadre d’ateliers de conception.”

Cabane pastroale d’urgence : le travail d’évidemment des pièces bois et métal a permis de gagner une quarantaine de kilos sur la structure – Document © Pôle Éco Design
Les principaux commanditaires du Pôle Éco Design sont des collectivités ou des organismes assurant des missions d’intérêt général (pôles jeunesse, centre sociaux, associations, …). Citons par exemple le projet “Basile”, aménagement de la cour d’un centre social de Salon-de-Provence avec une gamme de mobilier modulaire ; l’ensemble comprend un parcours ludique pour les enfants, un petit espace convivial, un gradin ou encore un parcours de “free running”, le tout élaboré avec les contributions de ses principaux utilisateurs, à savoir des enfants et adolescents fréquentant l’établissement socio-culturel mais également avec le personnel de la structure et des parents.
En 2014, le Pôle Éco Design imaginait un espace de convivialité couvert en bois avec les usagers d’un jardin partagé. Plus récemment, en 2021, il concevait une étonnante et ingénieuse “cabane pastorale d’urgence”, transportable par hélicoptère, pour le Parc naturel régional du Qeyras. Cet habitat nomade a été réalisé avec des éleveurs, des bergers et des élus, directement concernés par le sujet des estives en montagne. “Faire participer les futurs usagers fait pleinement partie de l’écoconception”, explique Yannick Le Guiner. “Nous sommes plus assurés d’apporter une bonne réponse à une problématique donnée en associant les usagers. Ils nous apprennent souvent des choses que, sans eux, nous ne pourrions pas deviner : les contraintes liées au vent, de possibles conflits d’usages, …” S’ajoute à cela une notion d’“empowerment”(1). “Par exemple, lorsque nos travaillons avec des jeunes, nous les rendons plus autonomes. Ils s’approprient le projet et cela devient le leur.” Contrairement aux idées reçues, le “faire avec” serait alors gage d’efficacité et permettrait d’éviter certains écueils liés à de potentielles inadéquations entre objet et usage, permettant ainsi d’économiser de l’énergie mais aussi de la matière.
Design et cycles de vie
Une dimension qui rejoint ainsi la notion de “responsabilité écologique” dans laquelle s’inscrit fermement la démarche du Pôle Éco Design. S’appuyant sur les principes de l’économie circulaire (“réemploi”, “réutilisation”, “recyclage”), l’Agence est devenue experte dans la prise en compte du cycle de vie d’un produit ou d’un service. Ses réalisations utilisent des matériaux recyclés, recyclables, récupérés, récupérables ou encore des matériaux naturels. Une approche qui prend singulièrement corps dans le partenariat que le Pôle Éco Design a développé avec MP Industries. Cette entreprise, elle aussi domiciliée à Gardanne, est spécialisée dans le recyclage du plastique. Elle récupère notamment de grandes buses destinées à l’évacuation des eaux usées ou de pluie en plastique noir, éléments difficilement recyclables. “Pour des raisons techniques, il est impossible de modifier la couleur du plastique noir. Nous dessinons des gammes de mobilier urbain qui sont réalisées avec ces buses, ce qui permet de les réutiliser. Ce projet était au départ expérimental. Mais désormais, MP Industries propose ces objets dans son catalogue”, témoigne Yannick Le Guiner.
Le designer des Bouches-du-Rhône et son équipe ont pu mettre leur expertise en matière d’économie circulaire et de projets participatifs au service du prestigieux Festival d’Art lyrique d’Aix-en-Provence en l’accompagnant dans sa démarche pionnière d’écoconception de décors, de 2014 à 2021. “Véronique Fermé, qui était en charge du développement durable pour le Festival, était intéressée par le fait que je n’étais pas qu’un consultant mais également quelqu’un qui faisait, qui pouvait parler de pair à pair avec le bureau d’études ou les ateliers et qui serait en mesure de comprendre leurs contraintes.” Le Pôle Éco Design a d’abord contribué à analyser le cycle de vie du décor du spectacle Written on Skin, mis en scène par Katie Mitchell, en 2012, soit une vingtaine de tonnes de matériaux. “Ce travail a révélé que l’impact des matériaux utilisés était important mais aussi celui de la phase distribution : il fallait sept poids lourds pour transporter le décor qui a parcouru plus de 50 000 km dans toute l’Europe. Au bout d’un moment, le transport est devenu le premier poste d’émission de CO2 du décor”, détaille Yannick Le Guiner. Ce qui incite aujourd’hui le designer à produire une “réflexion globale” sur l’organisation des événements ou le fonctionnement des établissements culturels : “Parfois, nous passons beaucoup de temps sur un petit élément de décor. Mais ce travail mené sur la scénographie n’est pas suffisant, il doit faire partie d’un tout. La Culture doit aujourd’hui se poser des questions bien plus larges touchant aux échelles de production, intégrant les sujets relatifs aux déplacements des publics, à l’alimentation, … ”. Ce “décorticage” du décor et de ses différents impacts met en évidence la difficulté de réutiliser de nombreux éléments qui, faute de mieux, seraient un jour destinés à devenir des déchets, pas nécessairement recyclables. “L’ensemble était conçu de telle façon que les matériaux étaient difficilement séparables et, de ce fait, impossibles à recycler en fin de vie.” Un fait qui incitera alors fortement l’équipe d’Aix à travailler sur la mise en place d’assemblages “réversibles”.
Guide méthodologique
De nouvelles façons de faire auxquelles le Pôle Éco Design a contribué en participant aux “labos” que le Festival d’Art lyrique a organisé : des rencontres réunissant d’autres maisons d’opéras et théâtres, durant lesquelles les participants étaient amenés à imaginer collectivement des solutions à des problématiques données en matière d’écoconception. L’ensemble de ces réflexions, de ces échanges et, surtout, des solutions concrètes appliquées par le Festival d’Aix et d’autres établissements culturels producteurs de spectacle ont alimenté la rédaction d’un guide méthodologique d’écoconception de décors auquel a grandement participé le Pôle Éco Design. Publié en accès libre en 2018, ce document comptant initialement soixante-dix pages a été publié en français et en anglais. Il a été récemment actualisé et enrichi dans le cadre d’une seconde édition. “Concevoir pour réutiliser” ; “Sensibiliser et impliquer les fournisseurs” ; “Constituer une éco-matériauthèque” ; “Optimiser la tournée” ; “Sensibiliser et former les machinistes”, … Ce manuel est constitué de nombreuses “fiches actions” destinées à apporter des réponses pratiques à l’ensemble des agents impliqués dans la création et la manipulation de décors, des équipes de direction aux techniciens de plateau, en passant par les bureaux d’études.
Depuis et/ou en parallèle de cette expérience notable dans le champ de la Culture, le Pôle Éco Design s’est aussi investi dans d’autres projets touchant les arts et le spectacle. Il a, par exemple, réalisé en avril 2022 une billetterie avec des matériaux récupérés, avec les jeunes d’un centre social, pour le festival Jardin sonore de musiques électroniques à Vitrolles. Impossible de ne pas citer l’étonnante table de mixage photovoltaïque réalisée pour le Marseillais DJ Nassim. Un dispositif compact, composé d’une partie centrale rectangulaire en aluminium sur laquelle l’artiste vient poser ses platines et de deux “bras” photovoltaïques permettant au musicien de jouer dans de nombreux endroits non raccordés au réseau électrique. Ces derniers alimentent deux enceintes MK12, un caisson de basse et une régie lumière. Doté de roues, l’ensemble est entièrement transportable. Les panneaux photovoltaïques se démontent et viennent se poser sur le plateau de mixage une fois celui-ci replié. Durable et tout terrain !
Notes
(1) Capacité d’une personne ou d’un groupe à prendre en main une situation en prenant conscience de son pouvoir d’action