Hellfest, volet 2 : les coulisses de la technique
Toutes les photos sont de © Yohan Progler
Nous allons nous concentrer ici sur l’aspect technique et matériel du Hellfest. Sur un festival de cette envergure, la synergie entre les corps de métier doit être solide et il est indispensable que tous puissent travailler de concert (c’est peu de le dire…) pour répondre à des contraintes de production et de planning parfois très compliquées. Sur ses deux scènes principales – Main stages 1 & 2 – et les quatre scènes secondaires spécialisées – Warzone, Valley, Altar et Temple –, le Hellfest impose un déploiement colossal de matériel.
Le choix des prestataires
Il y a plusieurs façons de concevoir la collaboration d’une production avec ses prestataires techniques : soit elle loue du matériel uniquement et les équipes du festival le mettent en œuvre sur site, soit les prestataires fournissent également leur expertise humaine et des équipes à chaque poste. Ici, nous dépassons largement le simple échange fournisseur/client pour privilégier une vraie collaboration sur la durée, fidélisant des équipes qui travaillent toutes dans la même direction. Un des éléments qui ressort de tous nos échanges est l’importance du facteur humain. L’organigramme est très défini et structuré : chacun est à sa place. Il n’y a pas de hasard dans l’évolution des carrières de la plupart des chefs d’équipe ou techniciens qui sont, pour certains, présents depuis le début du Hellfest, voire même de son prédécesseur le Furyfest (de 2002 à 2005).
Rien n’est gravé dans le marbre quant aux divers contrats de prestation mais lorsqu’on a une empreinte locale aussi forte, on comprend bien que malgré les changements de noms ou de regroupement de certaines sociétés, la place géographique et la proximité des dépôts de matériel jouent un rôle essentiel dans la réactivité des intervenants.
Pour la distribution électrique, c’est Didier Mercier “Memers” et ses équipes qui sont en charge de toute l’implantation électrique du site, travaillant directement avec le fournisseur de groupes électrogènes Aggreko, le seul pouvant répondre à la demande.
Pour les structures de toutes les scènes, mais également d’autres éléments du site (cathédrale, …), c’est la société Rig’Up (créée en 2004), située en périphérie de Nantes, qui travaille en étroite collaboration avec la production du Festival depuis plusieurs années ; une grosse responsabilité pour Thomas Lecerf et ses équipes.
Pour les scènes Valley, Altar et Temple, la prestation lumière et son est fournie par Audiolite depuis 2015. Société bretonne basée à Guipavas et dirigée par Sylvain Turpin et Franck Fily, elle s’appuie sur son expérience des gros festivals (Vieilles Charrues, Festival du Bout du Monde, …) pour répondre à la programmation très pointue de ces trois scènes, chacune dédiée à un genre de métal.
Les deux Main stages (à la programmation beaucoup plus éclectique) et la Warzone (punk et hardcore principalement) sont quant à elles gérées en son et lumière par le groupe B Live ; mais le lien remonte à bien plus loin puisque le prestataire historique du Hellfest (et Furyfest) a toujours été Melpomen, rattaché ensuite au groupe anglais SSE audio et dernièrement B Live.
En vidéo, l’évolution est majeure ces dernières années et spécialement pour cette double édition 2022. Les Main stages comptabilisent cinq immenses écrans LEDs, la Warzone en compte deux et les autres ont toutes un écran géant à leur entrée. C’est la société Nexxt France qui répond aux demandes du Festival et nous retrouvons à la gestion de cette installation François Rocchetti (également régisseur vidéo) et Édouard Chbaita (responsables des écrans LEDs).
La gestion du backline est assurée par Newloc, prestataire fidèle du Festival.
La distribution électrique
L’autonomie énergétique est un élément primordial lorsqu’on se retrouve au milieu de nulle part. Malgré son implantation proche de zones d’habitation, le Hellfest ne déroge pas à la règle et ne peut en aucun cas se raccorder à un réseau urbain, ce qui rendrait en plus la maintenance et le contrôle des installations quasiment impossibles. Ici, les groupes électrogènes sont une évidence, tant au niveau de la souplesse de mise en œuvre étant donné les puissances demandées que de la fiabilité et de la cohérence de l’installation. Didier Mercier “Memers” nous explique sa philosophie : “Mon équipe électro, c’est une grosse aventure humaine. Je suis celui qui prépare le chantier et la base de mon équipe a commencé, comme moi, en 2007. Notre réussite vient aussi de cette relation privilégiée que j’ai la chance d’entretenir avec mes collaborateurs, sous l’impulsion de Didier Molitor (régisseur général) qui m’a fait confiance à l’époque. Cette double édition 2022 a été plus agréable car les trois jours entre les deux éditions se sont révélés être une vraie respiration, nous permettant de récupérer, de partager et de se poser. Ce que nous n’avons jamais le temps de faire car sur une édition ‘normale’, nous sommes sous pression en permanence. Lorsque que tu dois démonter en une semaine l’équivalent d’un mois et demi d’installation, il faut être extrêmement vigilant, surtout avec la fatigue accumulée. Les demandes augmentent au fur et à mesure du montage et nous sommes très dépendants de l’avancée des autres secteurs (structure, lumière, son, …) pour finaliser notre installation. Ce Festival est hors norme à tous les niveaux : cette année, j’ai mis en œuvre cent groupes électrogènes sur tout le site. Même en revenant à une seule édition à l’avenir, je pense que les besoins énergétiques ne diminueront pas. Il y a de grandes chances que je reparte sur la base de cette année car le site continue d’évoluer dans tous les secteurs et tout le monde a besoin d’électricité. La réussite de mon travail réside principalement dans l’anticipation des besoins car je ne réussirai jamais à connaître clairement et précisément les demandes en phase de préparation. Des galères arriveront de toute façon ; nous devons réagir et nous adapter à l’évolution du matériel. Pour le son, l’arrivée des alimentations à découpage des amplis a changé la donne et il a fallu tout revoir”.
Le son
Comme évoqué dans la première partie de l’article, l’architecture et les études des systèmes de diffusion découlent des demandes des plus grosses têtes d’affiche. Tout est dimensionné en fonction des exigences et contraintes de ces “headliners”. L’étude des fiches techniques et les recoupements permettent de définir un profil de matériel à mettre en place, une sorte d’esthétique sonore qui va pouvoir s’adapter à chaque équipe technique accueillie. Là où Sylvain Turpin chez Audiolite reste sur des références solides (la fameuse enceinte de retour Martin Adui LE400 par exemple), Cédric Bernard et Hervé Meister (chefs d’équipe) ont vu les références évoluer sur les Main stages au fur et à mesure que Melpomen se transformait en SSE Audio puis B Live.
Cédric Bernard : À l’époque de Melpomen et de son association à la marque Nexo, nous travaillions en STM ; mais avec SSE et son parc matériel, nous sommes passés en L-Acoustics. L’arrivée du système K1 a amené de nouveaux questionnements. Les filtres FIR et leurs gestions dès le design via Soundvision qui sont arrivées dans un second temps nous ont vraiment intéressés. Arnaud Figus et Damien Gourbere, nos techniciens système, ont beaucoup amélioré la diffusion, notamment le confort sur scène avec les configurations cardio des subs. Les tours de delays en V-Dosc ont été remplacées par du K2 et le tout s’est avéré d’une redoutable cohérence et efficacité. Nous traitons de la même manière les deux Main stages car elles sont aujourd’hui strictement identiques. Les systèmes étant côte à côte, tout est allumé en permanence, le son de la 1 est diffusé dans la 2 au même niveau, et inversement. Les emplacements des consoles en régie façade bougent au fur et à mesure que les groupes passent ; les ingénieurs du son des têtes d’affiche savent bien qu’ils se retrouveront bien installés au moment de leur concert et tous jouent le jeu. Pour les régies retours, c’est un peu différent : nous laissons l’espace à cour disponible pour les groupes ayant leurs kits de console et notre kit son d’accueil est à jardin. La tête d’affiche arrivant dans la nuit, elle peut s’assurer de prendre sa place et toutes les autres régies s’organisent autour dans la matinée. Nos sides et nos drumfills sont toujours sur roulettes et peuvent bouger très rapidement pour laisser la place si besoin. Pour la distribution des divers signaux audio, la souplesse que nous apporte les processeurs P1 est un plus ; ils gèrent tout le matriçage avec un fallback en analogique. Tout finissant en AVB, l’idée est d’avoir le moins de conversion possible, sachant que nous réussissons quasiment à chaque accueil à récupérer des sources en AES.
La pérennité des équipes est aussi un atout majeur dans notre collaboration avec le Festival. C’est une relation de confiance qui s’est créée avec le temps. À partir du moment où le contrat est signé, la préparation commence et nous élaborons des études sonores en fonction des fiches techniques et des plans des scènes prévus. Une fois sur le Festival, notre dépôt étant à 30 minutes, nous avons des allers-retours possibles pour répondre aux demandes de dernière minute, comme un système complet de in-ear monitor par exemple, ou de la maintenance sur site.
La lumière : bien vu !
Cette édition 2022 a pris un nouveau départ sur les scènes principales car les têtes pensantes de B Live que sont Cyrille “6sou” Dupont (en charge du design et de la régie lumière) et Cyril Prat (direction technique lumière) sont arrivées à ces postes pour la première fois cette année. Cyrille Dupont travaillait néanmoins déjà pour le Festival mais sur la Warzone. Les installations des Main stages étant particulièrement lourdes, ils nous en expliquent les particularités.
Cyrille Dupont : À la différence du son, nous devions chaque nuit retravailler l’intégralité de l’installation lumière de chaque Main stage. La préparation demande énormément d’anticipation pour partir d’une base (la tête d’affiche) qui s’adaptera à tous les autres groupes de la journée. Il y avait une vraie hiérarchie de priorités dans les compléments à apporter suivant les horaires de passage des groupes. Nous avions une base de six personnes par nuit pour tout modifier mais nous sommes allés jusqu’à douze en fonction de la masse de travail à fournir. Un fonctionnement en 3 x 8 avec des kits très lourds, des modifications de pont, de points moteurs, …
Cyril Prat : Si nous rajoutons à cela une perte de 30 à 40 % de personnel après cette période Covid, il était très compliqué de boucler nos équipes avec des amplitudes aussi denses. Un de nos autres gros dossiers à gérer concernait les poursuites. Les nouveaux designs des tours de delay ne permettaient plus d’installer un technicien avec une poursuite traditionnelle. Il a donc fallu trouver une solution et nous sommes partis sur des projecteurs commandés à distance appelés robotspot de chez Robe (BMFL™ FollowSpot) ; dix en tout pour les deux scènes, avec les pupitres de commande sous les scènes avec des écrans de contrôle et la possibilité pour le régisseur lumière de chaque groupe de contrôler à sa régie plusieurs paramètres comme les dimmers ou les couleurs, par exemple.
Cyrille Dupont : Nous nous retrouvons avec toutes les marques majeures de consoles lumière : Ma Lighting, ChamSys, Avolites. Pour interconnecter tout cela, nous avons choisi le protocole Art-Net, de la fibre et du RJ45, nous permettant de partager tous les kits en place, y compris les kits déco, et ce avec n’importe laquelle de nos consoles ou celle des groupes. Derrière la tour de régie façade, nous avions de disponible deux studio WYSIWYG complet plus une console (une pour chaque scène) pour qu’ils puissent préparer leur design sur nos plans 3D avant leur live.
La vidéo, cerise sur le gâteau
François Rocchetti “Fanfan” se définit comme un assistant de Twiggy, en charge de la diffusion et de la régie vidéo. Il s’occupe de tout le suivi avec les artistes dès la préparation et réfléchit aux moyens de diffusion des contenus : comment respecter les ratios d’images et assurer la compatibilité d’un bout à l’autre de la chaîne vidéo. Si les régisseurs lumière peuvent souvent s’occuper de gérer l’envoi des fichiers, il peut y avoir un régisseur dédié à la vidéo qui aura sa propre console, ses propres demandes, … “Je suis arrivé en 2019 à la demande de Sébastien Desavoy chez Nexxt France pour gérer l’écran mis en place à l’époque. Il est là depuis des années et gère des écrans sur tout le site. Après l’édition 2019, j’ai rempilé avec grand plaisir. Pour la partie technique, j’utilise principalement des media servers français Modulo Player ; mais après la diffusion sur les écrans, ce n’est plus ma partie : pour la retransmission télé et la captation, c’est AMP Visual TV qui prend le relais. Je conçois ma régie de manière à réagir très vite et à modifier n’importe quel média sur site. Un media server est dédié uniquement à cela de manière à rendre les images ou les vidéos conformes. Le travail de préparation me prend environ deux mois mais je commence à travailler dès février pour pouvoir rapidement échanger avec les groupes qui vont être accueillis en juin. Cette année, nous avons mis en place une vraie régie d’événementiel, plus que de festival. Et avec deux feux d’artifices à gérer en plus du reste, il vaut mieux avoir un outil souple et complet. Tout transite via fibre optique et nous avons laissé le choix aux groupes de se raccorder à plusieurs endroits, que ce soit en régie façade ou sur le plateau.”
Tous les techniciens et régisseurs communiquent via un réseau HF et filaire en Riedel Boléro, assurant une souplesse d’utilisation sur tout le Festival.
Équipes techniques
Hellfest
- Pierre-Marie “Twiggy” Chatal : production manager, régisseur Main stages
- Guillaume le Pit : directeur technique
- Pascal “Wally” Magaud : stage manager Main stages
- Romain Piot : responsable régie site, assainissement
- Didier “Memers” Mercier : chef d’équipe, responsable distribution électrique
- François “Fanfan” Rochetti : chef d’équipe, responsable diffusion, régisseur vidéo
- Édouard Chbaita : responsable écrans LEDs
Audiolite
- Guillaume Tromelin : designer lumière de la scène de la Valley pour Audiolite
- Sylvain Turpin : co-directeur
Rig’Up
- Pierre Cavaletto : gérant
- Thomas Lecerf : responsable rigg des Main stages