Toutes les photos sont de © Patrice Morel

La page est définitivement tournée. Bâti sur trois niveaux et plus de 8 600 m², cet ensemble ultra compact se caractérise, entres autres, par l’alignement de ses deux espaces de diffusion principaux sur un même axe. Cette habileté géométrique, associée aux équipements techniques pilotés de dernière génération, contribue à l’exploitation de ses nombreuses configurations prévues au programme initial. Les principaux attendus décrits dans cet article sont la démonstration de la précellence des projets réalisés sur les bases d’une nouvelle construction.

Salle Gabriel Monnet, continuité scène/salle

Modularité optimisée

Les plans de coupe sont particulièrement éloquents. Les voiles béton formant les parois verticales attenantes en élévation qui délimitent les deux espaces scéniques sont distantes d’à peine 2,30 m. Le volume tampon ainsi obtenu en pleine hauteur permet l’insertion et la répartition sur plusieurs niveaux de volumes tels que des locaux techniques, locaux électriques, du nodal scénique et de ses sous-répartiteurs réseaux. Seules les baies de commandes des équipements de machinerie ont dû être intégrées dans des locaux indépendants. Cette organisation a rendu possible la création de correspondances avec des circulations communes et des sas en communication, en accès directs, comme c’est le cas, par exemple, entre les grils et les passerelles des deux espaces scéniques. Cette géométrie s’avère particulièrement efficace sur le plan acoustique, favorisant de fait l’atténuation naturelle.

Avant-scène, proscenium, double cadre

Point sur l’existant

Échange avec Rabah Khima, directeur technique, et Jean-Marc Bondeux, régisseur général

Rabah Khima : Si nous laissons de côté les problèmes liés à l’antériorité des normes de construction, les soucis d’infiltration et les risques liés à la sécurité des salariés, nous nous arrêterons surtout sur les limites géométriques de l’édifice. Dès sa conception, les caractéristiques dimensionnelles de cet ensemble historique limitaient la capacité d’accueil des spectacles. La situation conduisait régulièrement la direction à peser le pour et le contre, et même à devoir renoncer à programmer certaines productions.

La parcelle étant particulièrement réduite, les différentes salles avaient été construites en élévation, les unes sur les autres. La simultanéité des usages sur le plan acoustique n’était pas envisageable. Les costumières devaient être brassées à la main dans la cage d’escalier, le monte-charge ne desservant pas les trois derniers niveaux. Nous pouvons citer, parmi les points les plus critiques, les limites dues aux caractéristiques dimensionnelles du plateau principal dont la profondeur moyenne n’excédait pas 9 m […] et celles de la petite scène avec tout juste 5 m de profondeur au point le plus défavorable.

Rabah Khima : Les réglages lumière en salle étaient si acrobatiques qu’ils devaient être effectués le corps allongé à même le plancher de la passerelle, les épaules et les bras pratiquement dans le vide. La machinerie manuelle et les deux niveaux de dessous de scène étaient, quant à eux, en parfait état de fonctionnement.

Gril de scène, salle Gabriel Monnet

Treuils ponctuels suspendus AMG Féchoz

– Prise en compte de la qualité de vie au travail

Jean-Michel Dubois, très attaché aux conditions et à la qualité de vie au travail, avait souhaité intégrer en phase programmatique les facteurs de risque et de pénibilité au travail. La parcelle retenue pour la nouvelle construction aura permis le redéploiement des différents espaces sur trois niveaux sans la moindre rupture de charge. La répartition des espaces de diffusion, l’isolement naturel obtenu par le traitement acoustique interne et l’insertion subtile de volumes tampons sont des facteurs éliminant pratiquement tous risques de contamination acoustique. Les grands espaces de travail, les pôles de production et les espaces publics proposent un confort acoustique indéniable, une exposition parfaite avec des zones de production baignées par la lumière naturelle. Les lieux de vie des équipes de production s’organisent selon la répartition suivante :

• Le pôle de gestion logistique avec l’aire de livraison, le quai de déchargement, les entrées des artistes et du personnel, la cour de service et le parking sécurisé ;
• Le pôle artistique comprenant le foyer, le patio, le local costumes, la buanderie ;
• Le pôle de production comportant une aire de service, des espaces de stockage, un atelier ;
• Le pôle de gestion administratif et technique.

Treuils à trancanage des équipes frontales (grande salle)

Accessoires de levage et enrouleurs de câbles

Salle Gabriel Monnet

Ce grand volume se présente sous la forme d’un espace scénique adossé à la salle sans déluge de scène ; un dispositif scénique qui impose l’usage exclusif de décors M1 (B-s2-d0) associé à une mesure d’éloignement de 2 m entre le premier rang du public et les décors. Les dimensions de scène sont assez impressionnantes avec un cadre à plus de 9 m de hauteur, une ouverture réglable de 12 m à 18 m, une distance de mur à mur de 30 m pour une altimétrie de 18 m. Les dessous de scène ne sont pas en reste avec une hauteur libre de pratiquement 4,20 m.

La réduction de jauge fut un des points clé évoqué en phase programmatique. Plusieurs solutions auraient pu être retenues, dont celle consistant au déploiement de tentures au niveau du deuxième tiers de la salle. Jean-Michel Dubois souhaitait éviter une rupture qu’il qualifiait souvent d’abrupte et d’assez disgracieuse ; un message bien perçu qui a su convaincre les acteurs du projet. Le principe d’une réduction de jauge en mode inversé fut acté. Il revient, en somme, à mettre en œuvre un dispositif moins connu mais tout aussi efficace, réalisé sous la forme d’un double cadre mobile. La réduction de jauge s’obtient cette fois par la translation de l’aire de jeu de l’arrière vers l’avant.

Structure des dessous de scène

Table élévatrice de l’avant-scène

– Double cadre, mise en œuvre

Les deux murs mobiles motorisés, une fois refermés, marquent une distance de 3,40 m avec le cadre principal situé en arrière. La diffusion sonore, constituée essentiellement d’enceintes L-Acoustics KARA et SB18, vient épouser la configuration par le simple coulissement des ancrages de l’arrière vers l’avant. Le déplacement des deux clusters de diffusion est obtenu à l’aide de palans de levage électriques, eux-mêmes fixés sur des chariots porte-palans à translation motorisés. Le gril d’avant-scène, installé à l’aplomb du proscenium, assure la continuité avec le dispositif de machinerie situé à l’arrière du cadre. La translation du cadre modifie quelque peu l’organisation des passerelles en salle. Les équipes canadiennes à trancanage fixe, installées au niveau du gril du proscenium, et les loges d’éclairage latérales dotées de volets mobiles complètent le dispositif d’éclairage scénique.

– Plate-forme élévatrice du proscenium

La reconfiguration manuelle ou motorisée de l’avant-scène intervient généralement par le souhait d’optimiser et d’étendre le plus possible l’utilisation d’une fosse d’orchestre. Ici, la plate-forme élévatrice de l’avant-scène est proposée en deux configurations : extension de scène et extension de salle, la configuration fosse d’orchestre n’ayant pas été retenue. Le garage à fauteuils situé dans la continuité du plenum de soufflage, juste sous le nez du gradin, réceptionne le wagon de fauteuils. Entièrement motorisée, la plate-forme évite le recours à la manutention manuelle.

– Machinerie, dispositif d’ensemble

Si nous omettons les passerelles, le gril de proscenium et ses équipes canadiennes fixes citées en amont, le dispositif de machinerie frontale se présente sous la forme de deux groupes d’équipes motorisées mus par des treuils à trancanage à vitesse variable. Les tambours à câbles, auxquels viennent s’ajouter les deux équipes motorisées latérales, sont implantés en position verticale sur les deux plates-formes longitudinales en béton. Ces couloirs, répartis uniformément de chaque côté de la cage de scène, sont isolés à l’aide de parois et de portes acoustiques avec une ouverture à la française. Viennent en complément les deux dernières équipes motorisées à tambours installées au niveau du fond de scène, en sous-face de la passerelle du deuxième service.

– Régies ouvertes sur la salle

Nous retrouvons, à un détail près, la configuration des régies du TNP à Villeurbanne. Sur ce point, aucun doute ne subsiste sur l’auteur d’un design si particulier. Vastes, confortables, en communication directe sur le bloc salle, nous remarquons ce plan de travail linéaire avec ses trois postes de travail distincts. La seule nuance, au regard des affectations des locaux périphériques autour des régies du TNP, réside dans l’usage du local technique situé juste à l’arrière du poste de régie au centre. Équipée d’une large baie vitrée, le volume se destine ici à la salle Gabriel Monnet, à l’installation des vidéoprojecteurs de forte puissance.

– Dessous de scène : 1,22 m x 1,22 m

La structure de scène entièrement démontable facilite la création de rues dans les sens longitudinal et transversal. L’abaissement s’opère par simple déplacement des traverses intermédiaires et des trappes démontables au niveau inférieur. Dans cette première combinaison, la hauteur des chandelles reste inchangée. L’effacement partiel ou total et/ou la réduction en espalier de la surface du plateau sont des opérations lourdes nécessitant le démontage de la structure. Les chandelles perforées, réalisées en trois éléments emboîtables, permettent le réglage en hauteur. La traverse, soutenue à l’aide de deux sabots coulissants, glisse, une fois libérée, le long des tubes jusqu’au contact avec le goujon de blocage inséré dans la chandelle au niveau inférieur. Nous obtenons ainsi un réglage précis, par pas de 10 cm, et ce quel que soit le nombre de rues engagées. La structure de scène peut être entièrement déposée. La configuration ne s’oppose en rien à la mise en œuvre ultérieure de tampons d’apparition.

– Circulations et sas mutualisés

Compacte mais pas sans limites, la circulation sans être à vue est parfaitement fonctionnelle. En revanche, ce transfert discret s’effectue au travers du pôle logistique. Lorsque les portes du quai restent ouvertes, la circulation peut être inconfortable pour les comédiens légèrement vêtus (manque d’intimité, vue depuis l’extérieur, écarts de températures, lumière du jour, …).

Le dégagement commun aura permis d’éviter la création de sas d’entrée en scène indépendants aux deux espaces scéniques. Cette configuration réclame une grande discipline de la part des équipes. Les opérations en cours de démontage dans la petite salle, par exemple, pourraient perturber et polluer les entrées de scène sur la grande salle en cours de représentation et vice versa. L’architecte et urbaniste Tarik Benia (Ivars & Ballet) rappelle à juste titre “que pour éviter le passage en première catégorie, soit plus de 1 500 personnes sur l’ensemble de l’établissement, les deux espaces de diffusion n’ont pas vocation à être utilisés simultanément en charge publique”.

Nous regretterons néanmoins l’absence de sas d’entrée de scène situés juste à l’arrière du cadre. En effet, les premières entrées de la grande scène sont repoussées respectivement à 11,50 m et 13 m à l’arrière du cadre de scène.

Salle Pina Bausch

Cet espace modulable au volume unique se présente sous la forme d’un espace scénique intégré à la salle. Les parois latérales sont dotées d’un réseau de passerelles organisées sur deux niveaux, le premier étant accessible par le fond de scène. Un rideau noir sépare efficacement la section de la première passerelle pouvant être affectée aux bergeries, de celle strictement réservée au personnel. Les dimensions du plateau technique à nu totalisent 24,46 m de longueur pour 16,20 m de largeur, l’ensemble étant servi par une altimétrie constante à 9 m sous porteuses. Le parquet de salle est constitué d’un ensemble de dalles de 1,20 m x 0,60 m, posées sur un lit de simples lambourdes. Le complexe, d’une épaisseur de 45 mm, est composé d’une âme en multiplis recouverte d’un contreparement en hêtre. La charge d’exploitation à 500 daN/m² autorise le passage de charges lourdes, dont des modules de tribunes télescopiques mobiles. Les postes de régies sont installés directement en première passerelle.

Salle Pina Bausch, continuité scène/salle

– Tribunes télescopiques mobiles

La configuration frontale regroupe quatre éléments de tribunes mobiles. Nous distinguons deux sous-ensembles : le premier au sol à l’avant est composé de deux tribunes couplées côte à côte ; le second, identique en tout point au premier, est placé à l’arrière sur une table élévatrice en positon surélevée.

Les modules de tribunes sont dotés de systèmes de motorisation permettant le déplacement, la rotation et le déploiement. L’ensemble peut, à tout moment, être remisé dans un local de stockage attenant, libérant ainsi la totalité de la surface en configuration public debout et en version salle d’exposition. Les jupes de protection rendent inaccessibles la fosse technique englobant la motorisation, les vérins de poussées Spiralift et les pentures de contreventement.

Salle Pina Bausch, postes de régies en passerelle

La déconstruction de la configuration frontale impose de commencer par les deux tribunes couplées au sol. Les modules ainsi libérés peuvent être écartés, retournés et repoussés à l’opposé de la salle. La sécurisation des portillons d’accès, situés au niveau des garde-corps de la galerie de régie, autorise la descente de la table élévatrice. Une fois au sol et repliés, les deux derniers modules peuvent être manœuvrés. La transformation complète de la configuration frontale à la version publique débout requiert la présence de deux agents sur une durée de 5 h. La charge de travail tient essentiellement au grand nombre de pièces et d’accessoires à déposer puis à remiser.

– Dispositif de machinerie

Le dispositif frontal est obtenu à partir des vingt-cinq équipes canadiennes coulissantes motorisées et installées en sous-face du gril. Cette configuration, laissant le gril de marche entièrement disponible, simplifie la manœuvre des nombreuses poutrelles mobiles au niveau supérieur.

Système de diffusion sonore L-Acoustics (salle modulable)

Dispositions communes

Les pupitres de commande de machinerie IAPI ne sont pas affectés par défaut aux espaces scéniques. Nous dénombrons quatre terminaux pouvant être utilisés indifféremment : un pupitre principal en station d’accueil, un pupitre secondaire en station mobile et deux pupitres portables sur tablettes tactiles.

Équipes frontales motorisées en sous-face du gril

Équipes frontales canadiennes coulissantes AMG Féchoz

Les lisses, à mi-hauteur des garde-corps de passerelles, sont rabattables. Les parois latérales de la salle Pina Bausch et les parois latérales de la cage de scène de l’espace Gabriel Monnet sont équipées d’un ensemble de rails Halfen® (prestation hors lot scénographique) d’une capacité de traction pouvant accepter jusqu’à 2 000 daN par point (la traction restant dans le plan vertical de l’ancrage). Les agrès peuvent ainsi être stabilisés à partir d’ancrages implantés en parois et au sol sur des anneaux dissimulés dans les trappes de plancher. Contrairement aux profilés perforés à boutonnières UPE, les rails Halfen® laissent le champ libre aux ateliers décor. Ces derniers peuvent ainsi concevoir tous types de dispositifs d’ancrage réalisés sur-mesure (anneaux, perroquets, lisses tubulaires, taquets, …). Ils permettent aussi de fixer les équipements compatibles proposés par les équipes de production de tournées. Les équipements de machinerie sont complétés par des groupes d’enrouleurs de câbles 6 cts Conductix Wampfler à rappel à ressorts. Des caniveaux sont installés en périphérie des plateaux. Cette disposition, permettant de dissimuler les passages de câbles, facilite la distribution des réseaux scéniques.

Salle Gabriel Monnet, plans de coupes – Document © AMG Féchoz