L’écoconception de décors d’opéra
Le Collectif 17 h 25 rassemble l’Opéra de Lyon, le Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, l’Opéra de Paris, le Théâtre du Châtelet et le Théâtre royal de la Monnaie de Bruxelles, autour de l’écoconception de décors d’opéra. Plus qu’un cercle de réflexion et de partage d’expérience, ce groupe apparaît comme un véritable laboratoire mutualisé travaillant sur des objets concrets. Il planche notamment sur la création d’un répertoire d’éléments scénographiques standardisés et adaptés à l’ensemble des lieux, le but étant notamment de réduire le nombre d’objets à produire mais aussi à transporter dans le cadre des tournées.
Les activités du Collectif 17 h 25 ont été présentées dans le cadre d’une conférence aux JTSE 2021 à retrouver ici
Son nom est aussi obscur qu’un code confidentiel. Le Collectif 17 h 25 réunit pourtant certaines de nos plus grandes maisons d’opéra autour des enjeux liés à l’écoconception de décors. Cependant, rien de secret dans les agissements de ce groupe qui rassemble, depuis 2019, l’Opéra de Lyon, le Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, l’Opéra de Paris, le Théâtre du Châtelet et le Théâtre royal de la Monnaie de Bruxelles. Il ne souhaite nullement “protéger” ou garder jalousement pour lui le résultat de ses activités. Bien au contraire. 17 h 25 est né sous l’impulsion du Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, événement et producteur d’opéras déjà engagé depuis plusieurs années dans des démarches liées à l’écoconception de décors ; c’est-à-dire dans une volonté de prendre en compte l’ensemble du cycle de vie des éléments utilisés par les ateliers, en tentant systématiquement d’opter pour les solutions techniques et matérielles les moins impactantes pour l’environnement et la santé des personnels impliqués. Recours à la visserie plutôt qu’à la colle, afin de pouvoir démonter et réutiliser les structures, applications de peintures “naturelles” et sans solvant, remplacement d’un produit pétrolier non-recyclable comme le polystyrène par du liège, sont autant d’actions concrètes mises en place à Aix et qui font désormais office de normes pour ce Festival.
Du recyclage à la réutilisation
De son côté, l’Opéra de Lyon était lui aussi très avancé sur le sujet. Ses ateliers se sont notamment dotés d’un calculateur informatique d’impacts (carbone, sur la santé humaine et sur les écosystèmes), de matériaux et matières pouvant être utilisés dans l’élaboration de ses décors (voir l’article de l’AS 238 “Opéra de Lyon, quinze ans d’écoresponsabilité”).
Le Collectif 17 h 25 s’est mis en place sur cette base d’expériences cumulées. Le groupe s’est constitué “de manière un peu vaporeuse et informelle, au fil des partages et des échanges, impliquant plusieurs structures engagées sur le sujet de l’écoconception. Nous sommes en train de réunir ces énergies”, résume Frédéric Lyonnet, responsable du bureau d’études du Festival d’Aix-en-Provence. Tout en soulignant que les axes de travail de 17 h 25 s’affinent progressivement : “Au départ, l’enjeu se situait plutôt autour du recyclage : arrêter de jeter, trier davantage, … Aujourd’hui, nous travaillons de plus en plus la question de la réutilisation. Les choses sont en train de muter”, poursuit-il.
“Le fait que nous nous sommes réunis vient de notre envie commune de réduire nos impacts et de partager les réflexions que nous avons engagées chacun de notre côté depuis un certain temps”, abonde Valentina Bressan, déléguée aux enjeux développement durable à l’Opéra de Paris. “Aussi, certains de nos établissements peuvent être investis ensemble dans des coproductions. Le sujet de l’impact des transports et du stockage des décors est également une question essentielle”, ajoute-t-elle. Le tout en prenant pour exemple le cas de l’Opéra de Paris, dont les décors sont aujourd’hui entreposés dans “1 500 containers”. Et en précisant qu’une seule de ces productions peut représenter jusqu’à “vingt-deux containers”. “Nous nous demandons aujourd’hui comment réduire ce volume”, dit Valentina Bressan.
Des structures “standards”
17 h 25 a ainsi décidé de se concentrer sur la conception de structures dites “standards”. Des éléments que nous pourrions retrouver dans chaque maison. Ces objets pourraient être utilisés pour plusieurs spectacles, évitant ainsi d’avoir à concevoir ou à acheter de nouveaux éléments pour chaque production. L’objectif serait aussi de réduire la quantité de pièces à transporter lorsqu’une même création est présentée dans différentes salles.
Mais de quels objets pourraient-ils s’agir concrètement ? Il convient d’imaginer “des objets qui soient standardisables et que nous puissions proposer à large échelle”, expose Frédéric Lyonnet. Ce qui, continue-t-il, nécessite de trouver des “consensus” entre les acteurs impliqués dans leur conception. Il précise : “Nous nous sommes demandés quels pouvaient être les éléments de décors sur lesquels nous pouvions tenter d’agir sans impacter le rendu scénographique. Nous sommes à peu près tous tombés d’accord pour dire qu’il s’agissait des structures qui soutiennent les éléments de décor et qui sont invisibles du public”. Frédéric Lyonnet évoque notamment des “ponts”, des “éléments sur lesquels nous ajoutons d’autres éléments” ou des “structures qui permettent de faire des élévations”.
L’enjeu de cette standardisation est d’arriver à créer des structures dites “répertoires”, appropriables par le plus grand nombre. Frédéric Lyonnet tente un parallèle avec le secteur du bâtiment : “C’est un peu comme pour les échafaudages : nous ne retrouvons pas toujours les mêmes sur les chantiers mais le principe est lui toujours le même”.
Appel à projets
Le Collectif a récemment lancé un appel d’offres dans l’objectif de sélectionner un prestataire spécialisé, en mesure de l’accompagner dans la définition de ce projet. Un binôme, composé de l’entreprise de construction métallique et mécanique de spectacle CEN.Construction et de l’agence Slow Design, vient d’être désigné ; les deux constituant un bureau d’études pluridisciplinaire intégrant à la fois des compétences techniques et en design écoresponsable. “Nous avons lancé cet appel d’offres car il était pour nous important de travailler avec une équipe technique externe indépendante. Leur mission consiste à faire un inventaire des solutions de répertoire et des fournisseurs existants mais également de proposer trois solutions constructives standards”, détaille Sophie Cornet, chargée de mission durabilité au sein du Théâtre royal de La Monnaie de Bruxelles et actuellement responsable de la coordination du Collectif 17 h 25.
Doté d’un budget de 30 000 € (un budget partagé entre les différentes maisons du Collectif), le BET a débuté ses travaux en décembre 2021. Il devra rendre ses conclusions en mars 2022. “Nous nous appuierons sur les résultats de cette pré-étude pour poursuivre la recherche d’une manière plus appliquée dans le cadre d’appels à projets (français et/ou européens). Car après avoir effectué ce travail d’inventaire, nous comptons aller plus loin en menant des expérimentations concrètes. Nous envisageons de créer des prototypes et d’intégrer des réalisations dans des productions”, précise Sophie Cornet.
Pour Frédéric Lyonnet, ce travail centré sur la conception d’éléments dits “standards” ou “répertoires” correspond à une nouvelle étape dans la manière qu’ont le Collectif et ses membres d’aborder l’écoconception de décors : “Nous rentrons dans une phase d’analyse. Nous sommes sans doute passés par une phase de radicalité auparavant, en mettant de côté certains usages. Je pense que ce moment a été nécessaire dans notre cheminement. Aujourd’hui, nous percevons d’autres problématiques à force d’utiliser des matériaux biosourcés ou dits ‘écoresponsables’ qui ne le sont pas toujours dans la durée. Il convient peut-être parfois d’utiliser d’autres types de matériaux qui sont peut-être produits de manière plus polluante mais qui sont aussi plus résistants dans le temps. Cela est fondamental car les décors sont amenés à vivre un certain nombre d’années et sont souvent stockés dans des conditions qui ne sont pas toujours optimales”.
Une réflexion qui en rejoint une autre, formulée par Valentina Bressan : “Il nous faut également prendre en considération les limites planétaires, les écosystèmes et l’exploitation des ressources naturelles afin de faire évoluer nos façons de construire. Une structure comme l’Opéra d’Amsterdam a, par exemple, proscrit l’utilisation de bois exotique pour la réalisation de décors”.
Partage et formation
Les membres du Collectif sont d’ailleurs tout à fait conscients qu’ils font partie des établissements culturels qui, en Europe, ont les moyens de s’investir, y compris financièrement, dans de telles aventures prospectives. Ainsi, ils assurent vouloir faire profiter d’autres structures des savoir-faire acquis et développés. Comme l’explique Sophie Cornet, “il ne s’agit pas de conserver pour nous les conclusions et les recommandations faites par le bureau d’études. Nous souhaitons les partager le plus largement possible”. Frédéric Lyonnet ajoute que les plans des structures standards réalisés par le Collectif seront “sous licence libre. L’idée n’est pas de les commercialiser. Chacun pourra se saisir de ces éléments et les produire par soi-même. Y compris des industriels si certains le souhaitent”.
Mais, au-delà de ces projets de réalisations concrètes d’objets “répertoires”, comment faire pénétrer plus largement et durablement les principes de l’écoconception dans les ateliers ? “Nous ne fabriquons pas des objets destinés à être envoyés sur la Lune. Mais ce sont des démarches à intégrer et à mettre en place en faisant face à quelques résistances au changement”, confie Frédéric Lyonnet .
D’où l’importance d’inclure ces notions au sein même des cursus de formations initiales, continues ou des actions de transmission interne de compétences propres à chaque établissement culturel. “La formation n’est pas un sujet encore très développé au sein de nos structures, mais nous devons y réfléchir”, reconnaît Sophie Cornet. Toutefois, selon elle, “il convient d’abord de faire une distinction entre les formations qui concernent la compréhension des enjeux climatiques généraux et qui peuvent être abordées par des outils pédagogiques faisant appel à l’intelligence collective, comme la Fresque du climat(voir l’encadré plus bas), et les formations plus spécifiques qui répondent à des besoins propres aux métiers”. Nombre d’éléments et de données sont aujourd’hui accessibles autour de l’écoconception, “mais il n’est pas toujours évident d’aller pêcher les bonnes informations”, complète-t-elle. Elle rappelle par ailleurs que la réussite d’un projet d’écoconception de décors repose sur l’appropriation des objectifs poursuivis par chacune des parties prenantes, et notamment par les artistes et les scénographes : “80 % des impacts d’une production sont liés aux décisions prises en phase de conception. Cela signifie que les artistes ont un rôle important à jouer. Nous devons les intégrer dans le dialogue. Sinon, les équipes internes, les ateliers de décor, de costumes ne feront ensuite qu’optimiser la réduction des impacts de la création”. Ces propos renvoient à la structuration générale du secteur : “Il faut que l’ensemble de la filière spectacle se réorganise. Il convient aussi d’intégrer une notion budgétaire à l’écoconception. Combien cela va coûter ? Le fait de réduire le volume de décors transporté permet-il de faire des économies ?”, dit Valentina Bressan. Tout en soulignant l’originalité de chaque structure et ses spécificités : “La feuille de route d’un établissement, c’est de la haute couture, un habit sur-mesure, adapté aux réalités de chacun, rien ne peut véritablement être copié-collé”. La notion de standardisation a, de fait, ses limites lorsque l’objet même d’une organisation est de façonner et de présenter des œuvres qui, par essence, sont uniques.
Former et sensibiliser aux enjeux climatiques avec la Fresque du climat
Vous souhaiteriez que vos équipes saisissent l’essentiel des enjeux climatiques avant de les “embarquer” dans des actions liées à l’écoresponsabilité ? La Fresque du climat pourrait être pour vous un solide allié. Portée par l’Association du même nom, la Fresque du climat www.fresqueduclimat.org est un jeu de cartes pédagogique permettant à une trentaine de participants de mieux saisir les liens entre causes et conséquences des changements climatiques. Le tout en 3 h environ. Utilisant comme principale ressource les données du GIEC (Groupement intergouvernemental d’experts sur le climat) et l’intelligence collective, le dispositif s’appuie également sur l’intervention d’un animateur formé par l’Association.
Plus d’informations sur www.fresqueduclimat.org